Ford Mustang Mach-E : Usurpation d’Identité (réussie)
Mustang. Il y a des noms, comme ça, qui ont marqué l’Histoire et qui sont des symboles à eux-seuls. Alors quand on touche à une légende et qu’on en chamboule la recette, il y a de quoi se mettre les doigts dans la prise… Novembre 2019, me voici à Los Angeles, dans les studios de la Fox, où Ford s’apprête à déclencher un séisme automobile : le Mustang Mach-E (se prononçant à l’américaine : « maki »).
SUV, 5 places, quatre roues motrices et… électrique. Difficile de trouver en ces quelques caractéristiques un semblant de pedigree du pur-sang de l’Oncle Sam. À défaut d’avoir un L6 ou un V8 grommelant, Mach-E est-il une « vraie » Mustang comme on les aime ? Hum, c’est parti.
Lorsqu’on s’appelle Ford et qu’on veut faire son entrée (un poil tardive il faut le dire) dans le monde de l’électrique, il faut frapper un grand coup. Et ce grand coup de comm’ s’apparente à une petite dose de provocation pour créer le buzz : apposer sur un SUV watté un nom unanimement connu dans le monde comme étant le symbole de l’Amérique fière et libre aimant bruler des galons d’octane 98 entre États. À défaut de pouvoir retourner dans les plaines de l’Oklahoma puis vers le Colorado, l’Utah, le Nevada et le Pacifique, c’est vers notre Far West à nous que nous avons décidé d’emmener le Mustang Mach-E : la Bretagne.
La liberté de bruler des litres de galons, aujourd’hui, s’apparente chez nous plus à payer des malus mirobolants à l’achat puis des litres de SP98 de plus en plus cher. S’offrir une Mustang V8 neuve en France n’est quasiment plus possible, puisque son malus équivaudrait à près de la moitié de son prix de vente… Quel monde merveilleux.
Pour avoir un cheval fougueux sur sa calandre, deux alternatives s’offrent à vous : la surexcitante Mustang Mach-1, qui s’apparente en quelque sorte au Baroud d’Honneur de la ‘Stang essence avec une version ultime plus séduisante que jamais, et notre plus rationnel Mustang Mach-E. Ce dernier n’a pas vocation à remplacer la légende ; voyez en Mach-E ce qu’est le Cayenne à la 911, son dérivé haut sur pattes.
L’eMustang des familles
Et même si on ne roule pas dans THE Mustang, on ne passe pas inaperçu. On a à son bord l’impression de vivre dans quelque chose de différent, et le regard insistant des badauds vous le rappellent. Le bébé n’est pas si haut qu’on le pense, et sa garde au sol relativement réduite ne laisse pas envisager de sorties hors-piste, mais il a quand même ce look imposant et musclé de SUV américain. Aucun monogramme Ford n’est présent, que ça soit sur la carrosserie ou à bord, le logo Mustang incarne cette volonté de faire du modèle une entité du constructeur avec sa philosophie bien à elle.
La signature lumineuse entretient la filiation, mais c’est à peu près tout ce qui permet de rappeler le pedigree. Mustang Mach-E est un SUV moderne et hyper technologique, qui affronte directement le Tesla Model Y ou le Mercedes EQC en terme de dimensions. Aérodynamique oblige, tout a été pensé pour améliorer au maximum le CX : les lignes sont fluides, et les poignées de porte ont disparu au profit de… boutons. On dispose toujours d’une clé « normale », mais celle-ci peut facilement laisser sa place à deux solutions plus modernes : son téléphone comme clé grâce à l’app FordPass, ou… un code d’accès tapé à même la porte.
D’un point de vue esthétique, j’aime beaucoup cet avant agressif et très dynamique qui avale le bitume mais je suis moins fan de la partie arrière, trop haute, et sa chute de rein trop brutale à mon goût. L’ensemble est résolument moderne et exotique, il fait tourner les têtes et interloque. Pari réussi, c’est une Mustang.
À bord, c’est l’Amérique !
L’odeur du cuir, grossièrement surpiqué, et la présentation générale résolument technologique sont en totale cohérence avec la vision Mach-E. Les finitions et matériaux ne sont pas des plus qualitatifs, mais l’ensemble est agréable, bien conçu et épuré. L’immense toit vitré apporte un surplus de lumière bienvenu à ce cocon, surtout qu’il se teint seul en fonction de la lumière pour ne pas transformer l’habitacle en vivarium.
On sent que Ford est allé chercher l’inspiration du côté des copains de chez Tesla pour mettre au point l’ergonomie du Mach-E : adieu boutons, bonjour écran vertical flottant démesuré de 15,5 pouces pour tout piloter.
Ce dernier, un peu effrayant de prime à bord, repose sur une interface bien conçue autour de tuiles dynamiques au contenu qui s’adapte en fonction du moment de la journée et de nos habitudes d’usage. On y pilote ainsi la musique, la navigation, les modes de conduite et la climatisation. De nombreux raccourcis bien placés permettent d’accéder aux fonctions clés sans se perdre dans des menus complexes, dont une partie ventilation toujours présente en-bas de l’écran que l’on bénit. Petite originalité stylistique et fonctionnelle : une grosse molette en partie-basse qui permet de régler le volume, toujours plus pratique que le « tout-tactile ».
Le paradis du geek
Ce système embarque une 4G permanente, rendant la voiture connectée en continu : point d’accès Wi-Fi, prévisions météo, mises à jour sans-fil, tout est bien conçu et permet à Mach-E d’être bien dans son époque… Ni Netflix, ni jeux, ni navigateur internet, ni coussin péteur : ça n’a pas le côté « geek » d’une Tesla, mais il y a tout ce qu’il faut pour voyager.
Un second écran horizontal de 10 pouces derrière le compteur permet d’avoir accès à tous les informations nécessaires au conducteur : vitesse, autonomie restante, indications de guidage et aides à la conduite. L’ergonomie générale demande un petit temps d’adaptation, mais on s’y fait très rapidement et on savoure cet arsenal technologique rendant l’expérience aussi ludique qu’efficace.
Grande voyageuse oblige, la dotation est pléthorique : sièges électriques, chauffants et ventilés, volant chauffant, chargement sans-fil des smartphones, 4 ports USB, très bon système Hi-Fi Bang & Olufsen avec 10 haut-parleurs et caisson de basse et rangements énormes… Le Mach-E est fait pour enchainer les bornes en prenant soin de ses occupants.
Grâce à une belle garde au toit, une banquette accueillante et un plancher plat, il peut embarquer cinq personnes sans soucis, même si la console centrale pénalisera légèrement l’espace aux jambes du passager du milieu. Les batteries étant placées intégralement sous le plancher, celles-ci ne viennent ni contraindre l’habitabilité, ni réduire les espaces de stockage.
Mustang Mach-E dispose ainsi de deux coffres : le premier (de 81 litres) « sous le capot » est compartimenté et dispose d’une évacuation d’eau pour le rincer, permettant ainsi d’y stocker ses chaussures après une grosse rando’ ou ses serviettes de plage. Le second, le « vrai » (de 402 litres), propose une accès aisé grâce au hayon à ouverture et fermeture automatique depuis la clé, et un bel espace de stockage. Ce dernier peut atteindre 1420 litres en rabattant la banquette arrière (2/3-1/3).
Point de déclinaison 7 places pour le Mach-E, la forme de son hayon ne permettant pas d’y glisser une troisième rangée de sièges et d’y accéder facilement.
Taillé pour les longs voyages
Sous le plancher, le Mustang watté peut accueillir plusieurs configurations de batterie et de puissance :
- 2 roues motrices : 269 ch (76 kWh) ou 294 ch (99 kWh)
- 4 roues motrices : 269 ch (76 kWh), 351 ch (99 kWh) ou 487 ch pour la version GT (99 kWh)
C’est en toute logique avec les trois versions 99 kWh que l’on peut espérer avoir les meilleures autonomies (et notamment la version deux roues motrices avec 610 km sur un cycle mixte en WLTP), et ce sont également les seules à accepter des charges rapides allant jusqu’à 150 kW, contre 115 kW pour les versions 76 kWh.
Nous avons pour notre part choisi la version de 351 ch, équipée de quatre roues motrices et de 351 ch, qui nous a paru être le cœur de gamme et la plus adaptée pour notre virée vers le Far West avec une autonomie mixte annoncée en WLTP de 540 km. Partant de Paris à 100 %, le très bon système de planification de trajet intégré nous a indiqué devoir nous arrêter en chemin à une borne Ionity pour arriver à notre première étape autour de Rennes.
Lancé sur l’A11, le Mustang Mach-E est dans son élément. Avec son double vitrage et son aérodynamique étudiée, l’insonorisation est tout bonnement excellente : rien ne vient troubler la quiétude à bord, et on se ravie de profiter de la très bonne acoustique du système Hi-Fi B&O en laissant faire la voiture.
Armée d’un pack à 2950 €, la Mustang des familles prend le contrôle sur autoroute : régulateur adaptatif qui s’adapte comme un grand aux changements de limitations de vitesse et à la circulation et maintien actif au centre de la voie permettent de n’avoir plus qu’à montrer acte de présence en effleurant le volant de temps à autre. Enchainer les kilomètres à son bord n’est qu’une formalité, et une expérience réellement reposante. Mention spéciale aux feux LED exceptionnels, qui en font un allié précieux lors des longs trajets de nuit.
Calé à 130 km/h au régulateur avec la climatisation activée, la consommation moyenne oscille alors entre 24 et 25 kWh/100 km. Un score raisonnable compte tenu du gabarit de la bête, qui permettra d’effectuer un bon 350 km sur autoroute une fois la batterie pleine, puis de prévoir des arrêts de 25 minutes tous les 2 heures pour la remonter à 80 %.
Après environ 250 km, il nous restait encore 30 % de batterie. Arrivés aux alentours de Laval, nous nous arrêtons sur l’aire de la Mayenne, où 4 bornes Ionity flambant neuves nous tendent leur câble. Ford étant membre du consortium de constructeurs supportant le déploiement du réseau Ionity, chaque client de Mach-E dispose dès l’achat d’une carte FordPass permettant d’accéder à prix préférentiel au réseau de charge ultra-rapide, mais aussi de toutes les bornes du réseau secondaire Shell/NewMotion.
L’expérience de charge est alors très fluide : on connecte le Mach-E à la borne Ionity, on passe le badge, et 156 kW déferlent instantanément, la batterie ayant été pré-chauffée automatiquement avant l’arrivée à la station. Le temps d’une pause de 25 minutes, notre iPhone nous indique que la charge rapide (jusqu’à 80 %) est terminée. Ce 30 > 80 % de 25 minutes et 250 km d’autoroute récupérés nous aura coûté moins de 15 €, le tout étant prélevé directement sur la carte bancaire renseignée sur son compte Ford.
À défaut de jouir d’un écosystème propriétaire comme Tesla, il faut avouer que l’intelligence du guidage prévoyant les arrêts aux chargeurs (avec la durée nécessaire de charge) et le fait d’avoir le FordPass, qui apparait comme un sésame car compatible avec de nombreuses bornes tierces en plus de Ionity, facilite grandement l’expérience. On a toujours cette petite appréhension de savoir jusqu’où on peut aller et si on pourra charger à destination, Ford nous prend ici par la main et nous rassure vraiment. On fait confiance à cet écosystème et on se met à vouloir traverser l’Europe à son bord.
Une vraie Mustang sur route ?
Après une bonne nuit à Rennes et un second appoint de charge entre Rennes et Saint-Brieuc sur la station Ionity la plus à l’ouest de la France pour effectuer notre balade du jour, nous quittons les voies rapides et décidons d’aller voir la mer sur la Côte d’Émeraude.
Ne tournons pas autour du pot : le Mach-E est indéniablement l’une des meilleures routières du marché, mais il n’est en rien une Mustang excitante et grisante à conduire dans cette version AWD Extended Range. Le pur-sang américain a bien mangé, et se rapproche plus du pachyderme que du cheval athlétique avec ses 2182 kg à vide.
Cette masse se ressent sur la route, et ses 351 ch ne sont pas de trop. Le couple de 580 Nm assure de belles relances et des accélérations loin d’être mauvaises, mais la poussée s’atténue rapidement passés les 100 km/h (0-100 en 5,8 secondes). Le GT, de 487 ch et 860 Nm de couple, abat quant à lui le 0-100 km/h en 4,4 secondes, ce qui promet un résultat plus… « Mustang ».
Autre petite spécificité du Mustang GT, il est le seul à proposer la suspension pilotée, et c’est assez dommage car notre version Extended aurait mérité de pouvoir ouvrir quelque chose de plus ferme lorsqu’on souhaite hausser le ton. Le confort est ferme, mais la voiture ne l’est pas vraiment, avec des transferts de charge qui se ressentent et une prise de roulis maitrisée mais pas gommée malgré un centre de gravité relativement bas. Les pneus Bridgestone Turanza montrent rapidement leur limite : ils ont été choisis avant tout pour la consommation, et arrivent vite au limite du grip quand on malmène un peu le Mach-E.
Notre version offre bien trois modes de conduite, mais ceux-ci sont plus prévus pour limiter la puissance, calibrer différemment la direction et renforcer le freinage régénératif. On roule ainsi la plupart du temps en « Active » (Normal), les autres modes « Whisper » (Eco) et « Untamed » (Sport) n’étant pas forcément très légitimes après avoir pu jouer avec.
Le Mach-E est une force tranquille. Surtout qu’avec un rythme coulé et usant de la conduite mono-pédale qui offre un freinage régénératif puissant et efficace, il est tout à fait possible de consommer 17 kWh/100 km à 80 km/h, et même 14 kWh/100 km en ville. Des scores permettant de se rapprocher des 540 km d’autonomie annoncés.
Arrivés au bord de la mer et passant de baie en baie, On savoure alors de se balader à un rythme plutôt cool, à profiter de son ambiance zen et de sa douceur de fonctionnement. Le guidage nous propose de faire une halte pour déjeuner dans une charmante petite station balnéaire équipée de bornes. Le réseau public des Côtes d’Armor, compatible FordPass, offre ainsi des charges de 22 kW. 1h40 et 9 € de charge plus tard, Mustang et nous repartons en direction de Paris. Il ne nous faudra alors qu’une pause de 35 minutes au sud du Mans pour arriver sans encombre à la capitale. « Fingers in the nose », comme diraient les Américains.
Usurpation d’identité ?
Affiché à 65 500 € pour notre AWD Extended, la gamme Mustang Mach-E débute à 48 990 € (2 roues motrices et petite batterie) pour culminer à 77 490 € en version GT. Notre version quatre roues motrices s’affiche ainsi dans les mêmes sphères tarifaires qu’un Tesla Model Y, mais il demeure mieux équipé et propose une autonomie moyenne supérieure d’une cinquantaine de kilomètres. Le match s’annonce serré entre les deux futurs ennemis !
Pour une première dans le monde de l’électrique, Ford passe en tout cas brillamment ce premier essai avec Mach-E. Au-delà d’un produit abouti, cohérent et séduisant, c’est tout l’écosystème créé autour qui rassure son utilisateur et qui incite à en profiter sur la route. Il n’a rien de très sportif dans son ADN (à vérifier en version GT), mais il est un voyageur hors-pair.
Que penser d’une Mustang dont rien, à part le logo chevalin, nous rappelle celle que l’on connaît déjà ?
Dès le départ, je savais qu’il ne fallait pas que je cherche ne serait-ce qu’un fragment de l’ADN de la sportive de Ford en Mach-E. La philosophie Mustang c’est avant tout de pouvoir s’évader et voyager dans des grands espaces, « kiffer » la vie dans quelque chose qui a du caractère. En suivant ce crédo, force est de constater que le pari est réussi. Tailler la route et traverser les frontières en Mach-E se fait sans sourciller, et avec style. « On the road again, Mustang! »
Photos : Victor Desmet