CarStalker Stories, Ep.2 : Le jour où Mercedes a signé un chèque de 50 millions de dollars à Tesla
CarStalker Stories, c'est votre nouvelle rubrique hebdomadaire (du dimanche, en l'occurence), qui s'intéresse à des histoires automobiles (réellement) méconnues. Pour ce second épisode, on s'intéresse au jour où le groupe Daimler-Benz (Mercedes) a signé un chèque de 50 millions de dollars à Tesla, pour la production d'une version électrique de sa micro-citadine Smart ForTwo. Et qu'il a sans doute sauvé la firme d'Elon Musk de la banqueroute.
2008 : Une période difficile pour Tesla
Retour en octobre 2008. Cela fait quelques mois que Tesla a commencé à livrer les premiers exemplaires de son Roadster, présenté en février 2008. Et la firme est au bord de la faillite à cause d’un cruel manque de liquidités, car la production du Roadster accumule les difficultés. C’est donc dans cette période trouble pour Tesla (sur laquelle revient le documentaire « Revenge of the Electric Car » de Chris Paine) qu’Elon Musk se rend au siège du groupe Daimler-Benz A.G, à Stuttgart. Il y rencontre alors Thomas Weber, administrateur du groupe, et responsable de la R&D. À l’occasion de cette entrevue, Daimler propose à Tesla de plancher sur une version électrique de sa micro-citadine Smart.
Smart ForTwo électrique : Une idée déjà ancienne
Même à l’époque, l’idée d’une Smart électrique n’était pas récente. Dès les prémices du projet Smart, il était en effet prévu que la micro-citadine soit équipée d’un moteur électrique. Certes, une version électrique de la Smart Fortwo de première génération existait déjà, mais sa production (confiée à la firme Zytek) restait artisanale, et par essence confidentielle. En l’occurence, elle n’était disponible qu’à Londres, et uniquement en location pour des professionnels (elle a même été utilisée par la Metropolitan Police !). Daimler souhaite accélérer l’électrification de sa micro-citadine, et Tesla paraît être un partenaire crédible pour cela. Ça tombe bien : Musk s’empresse d’accepter la proposition.
Un délai ultra-court, et un pari fou
Daimler indique alors à Musk l’envoi d’une équipe aux Etats-Unis, en janvier 2009. Soit 3 mois pour plancher sur le sujet, et (si possible !) rendre une copie. Un délai totalement fou pour l’industrie automobile. Mais cela n’effraie pas Musk : il met Tesla en ordre de bataille pour répondre à la commande du constructeur Allemand. Un employé de Tesla est envoyé fissa au Mexique acheter une Smart ForTwo 2 thermique, et la rapatrier en Californie. Une équipe dédiée au projet est désignée chez Tesla. Musk impose deux contraintes : rien ne doit permettre de différencier la Smart électrique de son équivalent thermique, et la « machinerie » électrique ne doit pas empiéter sur l’habitacle.
3 mois après donc, les salariés de Daimler débarquent chez Tesla. Comme raconté dans le passionnant livre « Elon Musk » de Walter Isaacson (l’auteur à qui l’on doit également l’excellente biographie de Steve Jobs), ces derniers semblent un peu contrariés de visiter ce qui n’est alors qu’un petit constructeur sans le sou. « Ils s’attendaient à une présentation PowerPoint vaseuse », pour reprendre les mots de Musk.
Sans se dégonfler, Musk leur propose alors d’essayer une Smart convertie. Interloquée, la délégation se rend sur le parking de l’usine, où un exemplaire « électrifié » d’une Smart les attend ! Les émissaires de Daimler en ressortent ébahis : non seulement l’auto est fonctionnelle, mais en plus elle marche très bien, atteignant les 100 km/h en environ quatre secondes ! « La Smart pétait le feu. Elle était capable de faire des roues arrières », dixit Musk. Et pour cause : les ingénieurs ont réussi à caser le moteur électrique de la Roadster dans la frêle carrosserie de la Smart, l’auto développant donc environ 250 ch !
Un contrat avec Mercedes salvateur pour Tesla
Le résultat ne se fait pas attendre : Daimler signe un contrat avec Tesla, prévoyant notamment la livraison de batteries pour au moins 1.000 exemplaires de Smart électrique. Le groupe Allemand rentre au capital de l’entreprise à hauteur de 50 millions de dollars, l’équivalent de 10 % de Tesla à l’époque.
Cet accord est salvateur pour Tesla, comme l’avouera plus tard Musk : « Si Daimler n’avait pas investi dans Tesla à ce moment-là, on était morts ». Ce contrat, associé à la présentation du prototype de la Model S, permet à Tesla de débloquer un prêt de 465 millions de dollars du Ministère de l’Energie Américain.
Zoom sur la Smart ForTwo ED2 « By Tesla »
Quant à la Smart électrique « By Tesla », elle est officialisée par Daimler et Tesla au salon de Détroit 2009. Elle arrive sur le marché en 2010 (elle est baptisée « ED2 » -ED pour Electric Drive-). Elle est équipée d’une batterie lithium-ion de 16,6 kWh et d’un chargeur fournis par Tesla. En revanche, le moteur électrique provient de chez Zytek. On est très loin des performances fracassantes du mulet présenté à Daimler, avec son moteur de Tesla Roadster : la Smart ED2 développe 30 kW en pic (un peu moins de 41 ch), et 20 kW le reste du temps.
En dépit de sa puissance modeste, l’agrément est incomparablement meilleur comparé à la version thermique. Cette Smart électrique évite en effet les désagréables à-coups caractéristiques de la transmission automatisée de la version thermique, à simple embrayage.
Smart ForTwo ED2 : Un concept intéressant, mais aux performances limitées, et au prix prohibitif
La Smart « ED2 » aura même le droit à une session d’essai presse fin 2009 (organisée à Monaco), avec des résultats en demi-teinte. Si son agrément de conduite est vanté, les faibles performances du moteur Zytek la cantonnent à un usage strictement urbain (0 à 60 km/h en 6,5 secs), un point d’ailleurs confirmé par sa vitesse maxi, limitée à 100 km/h. Quant aux tarifs, c’est la douche froide : l’auto n’est disponible qu’en leasing, contre un prix absolument prohibitif : 700 Euros par mois, pendant 4 ans, comme le souligne l’essai réalisé à l’époque par Caradisiac !
Au total, plus de 2.300 exemplaires sortiront des chaînes de production de l’usine d’Hambach, en France. Des exemplaires disséminés un peu partout dans le monde, et même aux Etats-Unis, via la plate-forme de partage Car2Go (une co-entreprise entre Daimler et Europcar, maintenant ShareNow). Il semble d’ailleurs que l’auto a été essentiellement écoulée au travers de services d’auto-partage.
Un autre partenariat crucial avec Toyota
Tesla signe l’année suivante un contrat (et une prise de participation) avec Toyota, pour la fabrication de groupes motopropulseurs pour la version électrique de son RAV4 (basé sur la troisième génération). Outre 50 millions d’Euros, Toyota apporte un élément qui fera date dans l’histoire de Tesla : la vente de son usine de Fremont, en Californie (aussi appelée NUMMI : New United Motor Manufacturing), aux conditions financières proposées par Tesla. Seulement 42 millions de dollars pour une usine en excellent état, à quelques encablures de San Francisco : l’affaire est presque trop belle pour être vraie.
L’autre fruit (encore plus méconnu) de l’union Daimler-Tesla
Le partenariat Mercedes-Tesla continuera avec la version électrique de la Classe B de seconde génération, embarquant un moteur de Model S (dans une version « dégonflée », développant 180 ch), et une petite batterie de 28 kWh. Baptisée B250e chez nous, l’auto connaîtra une diffusion assez confidentielle, notamment pénalisée par son rayon d’action limité : 200 km d’autonomie, dans le meilleur des cas. Ennuyant pour une auto familiale, surtout qu’elle ne disposait pas d’un chargeur rapide embarqué.
Fun fact 1 : cette version électrique est la seule Mercedes Classe B commercialisée sur le sol Américain. Fun fact 2 : elle partage une grosse partie de sa technologie électrique avec le Toyota RAV4 EV. Une auto vendue de 2012 à 2014, et uniquement destinée au marché Californien.
Une longue carrière pour la Smart Electric Drive
Quant à la Smart électrique, elle continuera sa carrière avec une nouvelle monture à partir de 2012 (avec la ForTwo ED3, présentée au salon de Francfort en 2011), cette fois-ci sans les technologies fournies par Tesla, via des joint-venture (notamment avec Bosch). La puissance grimpe à 50 kW, ce qui n’est pas du luxe.
Conclusion : Une licorne peut en cacher une autre !
C’est une vraie « histoire dans l’histoire », qui aurait presque pu faire l’objet d’un article distinct : le devenir du mulet de la Smart Electric Drive « By Tesla ». Celui-là même qui avait présenté par Elon Musk aux pontes de Daimler début 2009, et qui était (dixit Musk) capable de faire des roues arrières. Selon le très détaillé article du site « smart-emotion.de », il semble que l’auto ait été ensuite confiée au célèbre préparateur Brabus, et qu’elle soit devenue la « Brabus Ultimate High Voltage », présentée au salon de Francfort de 2009.
Selon cette même source, l’auto disposait toujours de sa « machinerie » électrique de Tesla Roadster, mais dans une version largement dégonflée, avec 83 ch et 280 Nm (0 à 100 km/h en 9,8 secs). Une thèse qui gagne un certain crédit après recherches, car j’ai retrouvé un post (dont le contenu semble avoir disparu) consacré à l’auto sur l’onglet Presse du site Tesla, remontant à septembre 2009 : « Frankfurt 2009: Tesla plus Brabus equals Ultimate High Voltage ». L’auto était par ailleurs dotée d’un générateur de son capable de reproduire le bruit d’un V8, à l’instar du système présent dans l’Abarth 500e. Si la destinée de cette « Smart Tesla Barbus » est un vrai mystère, une chose est certaine : c’est un vrai morceau d’histoire automobile !