CarStalker Stories, Ep.3 : Mais où est passé le camion rouge Mercedes de Tchernobyl ?
Le destin mystérieux du camion rouge Mercedes de Tchernobyl
On a tous des « petits péchés » un peu bizarres, ou en tout cas difficilement compréhensibles pour le commun des mortels. Pour ma part, j’avoue avoir toujours été passionné par les catastrophes en tout genres, avec un attrait encore plus particulier pour les accidents aériens, et les catastrophes nucléaires. Et quand on parle de catastrophe nucléaire, le premier exemple qui vient en tête est évidemment Tchernobyl. Les liens entre l’automobile et l’une des plus grandes catastrophe du XXème siècle (si ce n’est la plus grande -guerres mondiales mises de côté-) ne manquent pas.
En effet, des centaines de véhicules ont été utilisés après la catastrophe, afin d’évacuer les populations locales, mais aussi pour « nettoyer » la région des débris hautement radioactifs. La plupart ont fini leur existence dans de gigantesques « cimetières » à proximité du site, trop contaminés pour être de nouveau utilisés. L’histoire méconnue du jour est justement liée à l’un de ces véhicules. Laissez-moi vous raconter l’histoire auréolée de mystère de la camionnette Mercedes rouge de Tchernobyl. Et du destin tragique de ceux qui étaient chargés de s’en servir.
Une histoire totalement méconnue
Je commence par un aveu. Malgré le visionnage d’une dizaine de documentaires consacrées à la catastrophe de Tchernobyl (sans oublier de l’excellente série de HBO), je n’avais JAMAIS entendu parler de cette histoire avant. Il a fallu que je tombe sur la vidéo Chernobyl Vs. a Mercedes : The Untold Story du YouTubeur « That Chernobyl Guy » (sortie le 30 décembre 2023) pour la découvrir. Un « disclaimer » s’impose donc : cet article est essentiellement basé sur le contenu de cet vidéo, vidéo elle-même basée sur un article Russe non traduit. Et je ne saurais que trop vous conseiller le visionnage de cette passionnante vidéo, et plus généralement de cette excellente chaîne YouTube.
Un peu de « technique nucléaire », en préambule
On commence avec un peu de technique. La centrale de Tchernobyl était composée de quatre réacteurs nucléaires, et chaque réacteur était relié à un jeu de deux turbines. Entraînées par les vapeurs chaudes créées par la réaction nucléaire, ces turbines constituent un maillon central dans une centrale, puisque ce sont elles qui produisent l’électricité. À Tchernobyl, les turbines étaient regroupées dans un même (et gigantesque) bâtiment.
De nouvelles turbines capricieuses
Les premières turbines installés à la centrale Ukrainienne (K-500-65/3000 de leur petit nom) se révèlent être une grande réussite. Mais elles coûtent cher, trop cher à produire. Le constructeur planche alors sur une variante moins dispendieuse : la K-500-65/3000-2, dont la structure contient moins de métal (et donc moins chère à produire). Revers de la médaille, ces nouvelles turbines sont davantage sujettes aux vibrations, et donc à se dérégler avec le temps. Un vrai problème dans une industrie qui ne tolère pas l’approximation (la suite de l’histoire nous le prouvera d’ailleurs).
Un rééquilibrage nécessaire : Notre camion Mercedes entre en jeu
Il convient donc de « rééquilibrer » ces turbines. Pour se faire, il faut tout d’abord mesurer avec la plus grande précision le niveau des vibrations. C’est justement là que notre camion Mercedes entre en action. Spécialisée (comme son nom l’indique) dans la mesure des vibrations, la firme Suisse Vibrometer (qui existe toujours aujourd’hui) installe un vrai laboratoire sur le châssis d’une camionnette Mercedes (type LK, commercialisé entre 1983 et 1998). L’idée étant évidemment d’avoir un laboratoire mobile, capable de se déplacer de site en site. Ce camion Mercedes (rouge, vous l’aurez deviné) est finalement acheté par le fabriquant de turbines fin 1985, et il est affecté à plusieurs sites nucléaires en URSS.
Pour les techniciens affectés à la tâche de rééquilibrer les turbines, ce matériel est une vraie providence. Pour ne rien gâcher, il est intégré dans un des plus grands symboles du bloc de l’Ouest, et de sa supposée opulence : un véhicule de la marque Mercedes. Il fait donc l’objet des plus grands soins. On peut même dire qu’il est bichonné. Et il le rend bien, puisque ses instruments se révèlent d’une aide précieuse, notamment pour la turbine numéro 5.
26 avril 1986
Le 26 avril 1986, le réacteur numéro 4 de la centrale entre en maintenance. Les ingénieurs notent un niveau de vibrations insatisfaisant s’agissant des turbines 7 et 8 (celles du réacteur 4 justement), et demandent l’intervention du « labo mobile » Mercedes. Une équipe conduit donc le camion jusqu’à Tchernobyl. En l’occurrence, 4 techniciens sont dépêchés : Kabanov, Strelkov, Savenkov, et Popov. Le labo mobile se fraie un chemin jusqu’au hall accueillant les turbines, et commence son travail.
Une scène d’apocalypse
Pendant qu’ils sont affairés à leur tâche, un autre groupe réalise une expérience sur le réacteur numéro 4. La suite, vous la connaissez : le réacteur finira par exploser, projetant son lourd couvercle à plusieurs dizaines de mètres de haut, et déversant son poison nucléaire à l’air libre. Affecté par l’explosion, le toit du hall s’effondre au dessus de la turbine numéro 7, et notre équipe de techniciens se retrouve au milieu d’une scène apocalyptique. Au lieu de prendre leurs jambes à leur cou, ces derniers décident de protéger leur précieux outil de travail, « coûte que coûte ».
Ils se rendent à l’extérieur du hall au péril de leur vie, sans doute afin de repérer si le camion peut se frayer un chemin. Ils se retrouvent alors confrontés aux débris (pour certains mortellement radioactifs) du réacteur éventré, contaminant alors Savenkov et Popov, qui perdront la vie peu de temps après (respectivement les 21 mai et 13 juin 1986 : ils ne furent d’ailleurs pas comptabilisés parmi les 28 victimes « officielles » -selon l’URSS- de la catastrophe). Les quatre hommes remontent à bord du camion Mercedes, avec la ferme intention d’y rester. Deux collègues viennent tout à tour à leur rencontre, et essaient de les convaincre de partir. Mais ils n’en démordent pas : ils ne veulent pas abandonner leur précieux camion laboratoire.
Le tristement célèbre Anatoli Diatlov (l’ingénieur en chef adjoint de la centrale, que beaucoup considèrent comme l’un des principaux responsables de la catastrophe) vient également à leur rencontre. Malgré son statut hiérarchique supérieur, lui non plus n’arrive pas à convaincre l’équipe de quitter le camion. C’est les conséquences des radiations qui forceront les hommes à quitter le camion, ces derniers finissant par tomber malades.
Le camion Mercedes : Un obstacle au nettoyage de Tchernobyl
Laissé en plan au milieu du hall des turbines, le camion Mercedes gêne les opérations de nettoyage. Des opérations cruciales, menées par les tristement célèbres « liquidateurs » de Tchernobyl. L’un d’eux décide justement de déplacer le camion jusqu’à l’extérieur, ce dernier étant toujours parfaitement fonctionnel. Par la suite, on voit le camion sur plusieurs clichés et vidéos réalisés suite à la catastrophe, stationné à proximité du réacteur éventré. Au final, la construction du fameux sarcophage autour du réacteur conduira les autorités à le déplacer une nouvelle fois, et à le stationner sur un site de stockage en plein air, à proximité.
C’est peu de temps après qu’on perd la trace du camion. Malgré les efforts déployés, personne ne sera en mesure de le retrouver, notamment dans les cimetières de véhicules ayant servi suite à la catastrophe. Un épais mystère s’en suivra : quelqu’un a-t-il subtilisé le camion, peut-être attiré par l’aura de l’étoile sur la calandre ? Question sous-jacente : a-t-il retrouvé une seconde vie loin de Tchernobyl ?
Un ultime rebondissement !
Un commentaire sous la vidéo de « That Chernobyl Guy » semble nous donner le fin mot de l’histoire. Ce commentaire est rédigé par un ancien liquidateur (du moins c’est comme cela qu’il se présente). Voici son histoire : vers le 20 août 1986, le camion Mercedes est impliqué dans un petit accrochage avec un autre véhicule, à proximité du site de l’explosion. Il est alors confié au groupe auquel appartient le liquidateur témoin, afin de le décontaminer. En dépit de leurs efforts (réalisés au péril de leur santé), le niveau de radiation émis par le véhicule reste bien au-dessus de la norme cible. Le camion a été exposé pendant de longues heures à un niveau de radiations trop intense pour que le processus soit réversible. Son sort est donc scellé : il doit être « neutralisé » (traduire : enterré).
Quant aux techniciens Kabanov et Strelkov, ils survécurent à leur irradiation, mais non sans mal (car touchés par de lourdes séquelles les laissant handicapés). Le mystère est donc levé : le camion rouge Mercedes a fini sa vie comme des centaines d’autres véhicules : enfoui à proximité du site de la catastrophe. En l’occurence, il aurait été enterré dans le site d’enfouissement numéro 12.