Essai, Toyota Yaris GR Premium Pack : WRC en réalité-augmentée
Confinés, nous l’avons été, nous le sommes, et nous le serons encore sûrement. Pour occuper nos tristes et monotones journées, Dieu merci, la PlayStation existe. À défaut de pouvoir limer de l’asphalte et d’assouvir notre irrationnelle passion de brûler des litres de carburant (ou des watts en fonction de votre crémerie), Gran Turismo soulage notre frustration. Parmi les exclusivités de la franchise, une ultime mise à jour du jeu vient de nous donner l’opportunité de découvrir virtuellement la dernière pépite de Toyota : la Yaris GR.
Yaris GR en vrai !
Même si le jeu atteint un degré de réalisme incroyable, rien ne remplace la sensation des mains sur un volant en Alcantara, les vibrations du pommeau de vitesse dans la paume de la main ou la sensation d’une poupe en dérive en sortie de virage. Alors… lorsque Toyota nous passe un coup de fil pour nous proposer de lâcher la manette et de passer quelques heures (masqués et avec une attestation) au volant de la Yaris GR, nous, on n’a pas hésité longtemps !
À l’heure des sportives aseptisées et bien rangées, la Yaris GR apparaît comme le véritable trublion du marché. Cet enfant-terrible, beaucoup de passionnés, dont nous, l’ont vu arriver comme le Messie au moment de son annonce. Comment, dans ce contexte si morose d’une industrie automobile assommée par les amendes sur les émissions de CO2 et taxes sur la puissance, un constructeur peut-il développer une voiture conçue dans un seul but : la performance ?
Le premier avantage de Toyota, vous le savez sûrement, c’est que leur bilan CO2 (porté par une gamme quasiment toute-hybride) est plutôt excellent. Des petits écarts de conduite comme la GT-86, la Supra et maintenant la Yaris GR, ne sont alors que des gouttelettes dans un océan au moment de faire les comptes.
Le deuxième avantage, et c’est sûrement grâce à cela que naquit la petite, c’est la force de frappe et les résultats incroyables de la division Gazoo Racing de Toy’, qui porte fièrement les couleurs du constructeur dans des championnats on-ne-peut-plus célèbres de sport-automobile comme l’Endurance (dont les 24 H du Mans), le Rallye-Raid et… le WRC, dont nous vous avions fait visiter les coulisses ici l’année dernière.
Seulement voilà, pour homologuer en compétition sa prochaine voiture de WRC, Toyota doit suivre la règle : proposer un modèle de série dérivé qui sera écoulé à un certain nombre d’exemplaires (25 000), un peu comme Lancia avec sa Delta H/F à l’époque, si vous voulez…
Alors, est-elle vraiment une petite machine de rallye avec des plaques minéralogiques et un minimum de confort, ou un simple plumage sans le ramage qui s’en rapporte ?
Yaris sous stéroïdes
La Yaris GR (GR pour Gazoo Racing, vous l’aurez compris) remplace ainsi la précédente GRMN (MN pour, humblement, Master of Nürburgring) et vient compléter la caricaturale Supra dans la gamme. GR devient ainsi l’apanage sportif de Toyota, une véritable branche dédiée qui tend à offrir un niveau de performances et des voitures inédites développées par des experts dans son usine dédiée au Japon, et pas seulement des versions « normales » adaptées.
Pour exemple, la Yaris GR dispose d’une exclusive version 3 portes. Elle ne repose pas sur la base de la Yaris hybride de Belle-Maman, mais plutôt sur celle de la Corolla et du CH-R. En découle un dessin inspiré de la Yaris de série, mais largement body-buildé et adapté pour la performance qu’elle revendique.
Elle joue la carte de l’exubérance avec des lignes taillées au sabre et un look démoniaque. Elle respire la performance, avec son gabarit trapu, son imposante entrée d’air sous la calandre et son capot bombé qui semble renfermer une bête.
Le profil est atypique, porté par une ligne de toit fuyante, des jolies jantes de 18 pouces derrière lesquelles ne se cachent pas les énormes disques ventilés de… la Supra, et des ailes/hanches à faire pâlir la compagne de Kanye West.
Son séant, justement, parachève comme il se doit ce cocktail détonnant : un diffuseur avec deux sorties d’échappement et un feu de recul, une toute petite vitre et un gros béquet. Pas de fioritures, pas de fausses écopes ou de choses inutiles, rien ne vient s’ajouter ou surcharger une ligne générale déjà bien gâtée.
On aime, ou on déteste, mais cette Yaris GR a le mérite de dégager une personnalité bien à elle. Dieu Merci, Toyota a eu le bon goût de ne pas lui coller de stickers à l’effigie de son écurie. Seuls quelques logos viennent rappeler d’où vient la petite puce en colère.
Les équipes de design ont ainsi parfaitement rempli leur mission : transformer une sage citadine généraliste en véritable sportive. La Yaris fait moderne, bien dans son temps, et jouit d’une plastique générale agréable qui ne laisse pas insensible.
À BORD : ELLE NE FAIT PAS DANS LA DENTELLE
Là où l’extérieur fait naître un sourire sur quasiment tous les visages qui la croisent, l’intérieur fait clairement redescendre son capital-séduction. Bon, en même temps, elle reprend la présentation de la version « grand-public » de la citadine, qui elle-même n’est pas une référence en la matière malgré sa relative jeunesse.
Dessin torturé, matériaux passables et technologie embarquée à la traine, la Yaris a un train de retard sur certaines de ses petites copines comme la Peugeot 208, ou l’indétrônable VW Polo. L’ensemble de la console centrale est solidement assemblé et l’ergonomie soignée, mais en plus d’être triste à regarder et trop terne, les plastiques durs et boutons un peu « cheap » sont légion. En même temps, on se plaignait avec la Supra qu’elle « faisait trop BMW », là au moins, Toyota n’est pas allé piocher ailleurs pour composer l’habitacle de la citadine.
La Yaris GR ne daigne de toute façon pas s’attaquer à l’excellence d’une Polo GTI ou à la modernité d’une Fiesta ST, elle les toise de haut en se disant qu’elle, son truc, c’est la performance avant tout.
Bien que notre version « Premium Pack » soit équipée de raffinements bienvenus en 2020 comme le volant-chauffant, un système Hi-FI JBL ou Apple CarPlay, elle n’en fait pas des tonnes pour nous impressionner et fait ainsi l’impasse sur une instrumentation numérique et compte sur un écran tactile à l’intégration… discutable qui aurait pu être de bien meilleure facture.
Non, son truc à elle c’est le sport… et les sublimes sièges baquet sont là pour nous le rappeler. En plus d’être vraiment beaux, ils offrent un compromis parfait entre un maintien idéal des jambes jusqu’aux épaules et un excellent confort d’assise. Moi qui avait peur de m’asseoir sur des planches à pain comme les Sabelt d’une Abarth 595 ou de me sentir engoncé comme dans les Recaro d’une Fiesta ST, je dois dire avoir été agréablement surpris.
Le volant à jante large siglé GR, le pédalier aluminium avec des picots, la présence d’Alcantara sur les contreforts de portes et le petit pommeau de vitesse tout rond parachèvent l’ensemble et vous soufflent des mots-doux…
Ah, avant de partir découvrir la bestiole, sachez que deux adultes pourront tenter de se contorsionner pour arriver aux places arrière, et le petit coffre de 174 dm3 (facile d’accès) suffira pour emporter votre casque et votre sac pour un week-end sur la Nordschleife. Si vous voulez transporter vos jeux de pneus, il sera toujours possible de baisser la banquette arrière.
SUR LA ROUTE : TURINI, SARDAIGNE ou FINLANDE ?
Contrairement à sa sœur de famille GR, la Supra, qui partage bon nombre d’éléments avec une jeune firme automobile Munichoise, Toyota et ses équipes Gazoo Racing ont conçu à 100 % la Yaris GR. Et voyez-vous, ils ont bien fait, quand on voit la fiche-technique et les performances affolantes de notre intéressée…
Sous le capot, on retrouve un inédit moteur 3 cylindres 1.6 L turbocompressé de 261 ch (à 6500 tr./min.), qui offre 360 Nm de couple de 3000 à 4600 tr./min., et expédie le 0-100 en 5,5 secondes. Pas d’hybridation ou de recours à de quelconques artifices, la Yaris GR fait dans l’authentique avec un petit bloc léger suralimenté et gavé de couple, qui propose un rapport poids/puissance assez costaud de 4,9 kg par cheval.
« Light is right » est un adage bien connu des amateurs éclairés d’automobile que vous êtes, et Toyota a mis le poids de sa voiture au cœur de sa conception. Plutôt qu’exercer une course à la puissance, le rendement et l’optimisation du moteur, combinés à une chasse obsessionnelle du moindre gramme en trop, ont donné naissance à une voiture unique sur le marché.
Composée d’aluminium sur de nombreux éléments (portes, capot, boite de vitesse, bloc-moteur) et même de carbone sur son toit, la Yaris GR revendique une masse à vide de 1280 kg, alors qu’elle embarque une transmission-intégrale. On se dit même que Toyota aurait pu aller encore plus loin dans cette quête de la légèreté, en virant les nombreuses aides à la conduite et chics fonctions de confort pas indispensables sur ce marché. Un peu comme Renault avec sa Mégane Trophy-R sans forcément aller jusqu’à faire sauter la banquette arrière.
À l’heure où les voitures demandent un Master en informatique pour être parfaitement réglées, la Yaris fait du bien à être utilisée par sa simplicité. Ses modes de conduite n’influent que sur le comportement de la transmission-intégrale, et on ne passe pas des minutes à ajuster indépendamment sa direction, son bruit à l’échappement ou encore sa réponse de pédale d’accélérateur sur un écran.
Tant mieux, cela dit, vu l’interface préhistorique du système multimédia et la pléthore d’aides à la conduite. Du « bip-bip » qui vous demande de ne pas franchir de lignes pointillées, au « bip-bip » qui vous prévient que vous collez un peu trop le copain de devant ou qu’un Yorkshire va traverser, la Yaris est en tout cas une voiture bien dotée en « bip-bip » pour être concevable en utilisation quotidienne.
Une polyvalence à toute épreuve ?
Et là se trouve le premier talent de la Yaris GR à mon sens : sa relative « polyvalence ». Polyvalence à utiliser avec des guillemets, car elle n’est pas non plus la plus vivable et la plus adaptée à l’exercice des bouchons ou de la ville. Rétro-vision passable, hanches compliquées à garer, première vitesse parfois capricieuse à enclencher avec un point de patinage subtil et une consommation moyenne élevée (plus de 13 L en ville) : les premiers kilomètres urbains ne sont pas des plus rassurants quant à sa propension à s’aventurer là où Anne Hidalgo tend à nous faire fuir. Mais ses sièges baquet sont confortables, le rayon de braquage est loin d’être ridicule, et l’amortissement est ferme mais pas sec comme sur une caricaturale Abarth 595 Competizione et ses bouts de bois Koni.
Qu’à cela ne tienne, nous fuyons l’agitation de la ville et allons sur l’autoroute pour retrouver les grands espaces. Étagement de boite courte et petit bloc obligent, la Yaris se retrouve à 3000 tr./min. à 130 km/h, et frise les 9,5 L / 100 km à vitesse légale stabilisée. Les bruits d’air sont relativement maitrisés, l’insonorisation mécanique et les petits craquements à bord le sont moins, et la tenue de cap demande pas mal de corrections. Le régulateur de vitesse adaptatif et l’aide au maintien actif au centre de la voie rendent la Yaris GR agréable sur longs trajets, mais on se hâte de quitter les grands bandeaux d’asphalte pour les petites routes pleines de virages…
Si Toyota a fait la chasse à chaque gramme superflu de sa Yaris et l’a doté de quatre roues motrices, ça n’est évidemment pas pour être utilisée dans la ville ou sur voie rapide. Non, son truc à elle c’est bien les départementales sinueuses, les montées de col, les Carrousel du Nürb ou les pistes de terre. Elle a de l’ADN de brute du WRC, ne l’oublions pas…
Cette polyvalence d’utilisation, la transmission-intégrale et ses différents modes de répartition de la traction entre l’avant et l’arrière l’illustrent parfaitement. Le mode Normal permet un typage orienté traction (60-40), le mode Sport en propulsion (70-30) et le mode Track équilibre le tout (50-50). Tel un ingénieur en WRC, vous allez ainsi d’un simple tour de molette pouvoir choisir le comportement de votre petite bombe et changer radicalement ses réactions.
Grisante !
Utilisée principalement en mode Sport pour cette première prise main, la Yaris GR est indéniablement l’une des sportives les plus grisantes à conduire à ce jour. Elle vous implique dans sa conduite et demande de l’engagement pour la mener. Le train-avant est aussi communicatif qu’incisif, et la direction vous remonte comme il faut ce qui se passe sous vos roues, ce qui permet d’ajuster votre trajectoire et de placer la petite puce là où vous le désirez. Le roulis est parfaitement maitrisé et le train-arrière, doté d’une inédite suspension à double-triangulation, ne vient jamais vous piéger. Le couple passe quant à lui sans encombre aux roues, et la voiture n’accuse pas de perte de motricité malgré l’absence de différentiels à glissement limité sur notre version « Premium Pack ».
Une dérive est facilement possible au lever de pied si on vient à la provoquer, mais elle vous le fera sentir et ne décrochera pas sans raison. Elle jouit d’un équilibre qui met en confiance et incite à aller toujours plus loin. Un châssis sain et des liaisons au sol de qualité font de cette Yaris un véritable plaisir à conduire et à cravacher sans arrière-pensée. L’amortissement est l’une des grandes forces de cette voiture, puisqu’il offre un compromis idéal : elle est idéalement maintenue tout en filtrant les bosses des départementales cabossées avec un certain brio.
Le freinage, lui, est à la hauteur de ses performances. La Nippone permet d’atteindre des vitesses assez affolantes, et Toyota l’a bien compris… Armée des disques ventilés de la Supra, excusez du peu, et d’étriers à quatre pistons à l’avant et deux à l’arrière, la citadine offre un freinage à l’attaque un poil trop progressive dans la pédale, mais brille par son endurance et son mordant une fois qu’on est « dedans ».
Un bloc moteur explosif !
Sous le capot, le trois cylindres suralimenté de 261 ch m’a mis une claque. Un brin creux au démarrage, il se métamorphose au fil de l’arrivée du couple pour devenir explosif : les 360 Nm de couple déboulent au milieu du compte-tours pour ne plus nous quitter jusqu’au limiteur fixé à 7200 tr. Une poussée ébouriffante et démoniaque propre à un bloc turbo, qui donne la sensation de conduire une véritable petite machine de rallye. Et telle une cerise sur le gâteau, le turbo vous gratifie de son souffle quand vous le sollicitez à pleine charge puis que vous relâchez la pédale (ce genre de « Pschhht » qui fait plaisir).
Ce bloc fait très vite oublier qu’il ne fonctionne que sur trois cylindres tant il offre des performances de choix et une disponibilité permanente. Ford nous avait déjà montré qu’on pouvait en faire quelque chose dans la Fiesta ST, Toyota remet le couvert en offrant à ces petits moteurs des prestations dignes de 4 cylindres sans rougir. Côté conso’, difficile de rester en-dessous des 12 L / 100 km en conduite rigolote, et 9 L en conduite coulée. Oui, elle est gourmande.
Côté bruit, je dois avoué avoir été déçu. Le son d’une sportive participe grandement aux sensations qu’elle renvoie à ses occupants (mais aussi aux passants), et cette Yaris semble avoir été étouffée par les normes et l’ajout d’un filtre à particules. Son échappement ne produit qu’un petit jappement bien trop discret en rapport des performances qu’elle offre. Un générateur de bruit désagréable a ainsi été installé à bord, avec un son provenant notamment des enceintes qui saturent autant que nos oreilles. C’est selon moi le seul grief à donner à la partie mécanique de cette Yaris GR ; Toyota aurait pu travailler un poil plus l’échappement pour lui donner une signature sonore plus attachante, comme la Fiesta ST avant elle avec ses petits « pop & bang » au lâcher de gaz.
M’enfin, on se concentre sur d’autres choses et on fait alors appel à nos autre sens, dont le toucher. Pas de palettes, pas de boite de vitesse automatique, place à un petit pommeau rond qui tient bien en main, et incite à ce qu’on le sollicite le plus possible. Les débattements sont courts, les verrouillages sont précis, le point milieu se fait sentir à chaque passage dans la grille, cette boite me rappelle en quelque sorte celle de la MX-5 ND. Combinée à une pédale d’embrayage dure, à un pédalier bien positionné et à une position de conduite idéale, l’expérience homme-machine atteint des sommets en terme de plaisir de conduite.
Formule magique
Vous l’aurez compris, Toyota a réussi à rendre sa Yaris aussi accessible à apprivoiser que pointue à exploiter. Chacun peut se faire plaisir à son volant : l’amateur éclairé que nous sommes souhaitant une sportive vivante, saine, joueuse et performante, mais aussi le pilote cherchant une arme précise, aboutie et aiguisée comme une lame de rasoir. Le constructeur japonais fait de la Yaris GR son porte-étendard, une vitrine de son savoir-faire.
Le plus beau dans tout ça, c’est que nous avons essayé la moins « performante » des Yaris GR et qu’elle nous a déjà paru si aboutie. Toyota propose une version Track encore plus méchante, avec un différentiel à glissement limité sur chaque essieu, des freins plus performants, des pneus Michelin P4S, des jantes forgées et des suspensions encore plus fermes. Quand on connaît le niveau de performance de la version que nous avons essayée, il est assez affolant d’imaginer que les sorciers de Gazoo Racing ont réussi à concocter un cocktail encore plus épicé…
Conclusion
Cette Yaris GR, personne sur le marché ne propose d’équivalence. Affichée à 35 800 € (+ env. 6000 € de malus en 2021) dans notre version Pack Premium (+ 2000 € en Pack Track), elle se situe entre des citadines de 200 ch du segment B qui se comptent désormais sur les doigts d’une main, et le marché plus fourni des compactes du segment C. Mais dans ce panel, aucune ne procure les émotions que j’ai pu ressentir à son volant. Des sensations authentiques, des performances affolantes, le tout dans un habitacle un peu tristounet mais dans une coque fun et rigolote à regarder : un grand bol d’air frais et une promesse de passer de bons moments, en somme.
Dans ce contexte, la Yaris GR apparait un peu comme le dernier des Mohicans. Mais que ça fait du bien des autos aussi exotiques et rigolotes à conduire, sans monter dans des sphères de puissance ou de budget inabordables… Merci Toyota.
Article rédigé par Victor Desmet.