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Expérience : Balade dans les mythiques 2cv Cochonou du Tour de France, et visite de leur atelier


Citroën 2cv Cochonou : La Madeleine de Proust du petit cycliste

Dans la vie, il existe deux types de sportifs. La première catégorie correspond aux convaincus des bienfaits de l’exercice physique. Vous les connaissez, ces hommes et ces femmes que l’on aperçoit courir ou pédaler sur le bord de la route. La seconde espèce de sportif caractérise un type de personne beaucoup plus épicurienne. Quoi de plus enivrant qu’être assis dans le jardin bien au fond de son transat, accompagné du trio infernal bière-cacahuètes-cochonnaille, le tout bercé par la douce mélodie d’une télévision déroulant les incroyables exploits de sportifs en pleine compétition !

Pas besoin de vous faire un dessin, avec mon ventre bedonnant de jeune trentenaire, je suis plutôt du genre à m’époumoner devant un écran que derrière un guidon. Même si l’effort est moindre, la passion n’en est pas moins grande ! Comme tout adepte de la sueur transpirante du téléviseur, depuis mon plus jeune âge, mon calendrier est rythmé par les rendez-vous sportifs annuels : l’ouverture de la saison de Formule 1, les 24 Heures du Mans, les Jeux Olympiques…

Mais finalement, c’est bien aux environs de la mi-juillet qu’était cochée la case d’une aventure particulière. Un événement plus proche de moi, le petit cycliste du dimanche. Moi, la petite tête blonde capable d’aller voir ses héros sur le bord de la route d’une étape. Même si 15 kilomètres de vélo avec mon petit frère étaient nécessaires pour assister au ballet des coureurs. C’est bien le Tour de France, en visite dans toutes les régions de l’Hexagone, qui ramenait le soleil au mois de juillet dans mon petit cœur. Spectacle d’autant plus complet in situ que le coup de vent du peloton était précédé par l’incroyable et interminable parade de la Caravane. Pas la peine de vous faire un dessin, celles que l’on attendait le plus étaient bien sûr les petites Citroën 2cv, qui laissaient sur leurs traces un mélange d’odeurs mêlant essence et saucisson !

C’est alors que quinze années plus tard, on m’invite à découvrir le berceau de la fabrication des fameuses vedettes de cette parade. Ni une ni deux, bob sur la tête et lunettes noires sur le nez, je pars pour le Pays Basque. J’étais loin d’imaginer l’univers et la passion que j’allais découvrir au sein d’un petit groupe de passionnés.

Cochonou et Vintage Car Club : Les Noces de Porcelaines

Au cœur du Pays Basque, c’est à Saint-Pée-sur-Nivelle que débute notre aventure du jour. Berceau de la pelote basque, c’est devant le fronton municipal que nous découvrons l’escadrille des 2cv Cochonou. Pourquoi ce lieu de rassemblement ? La raison est simple. Cela s’explique par une nouveauté sur le Tour de France 2018. Après deux années de démonstration de sa passion pour le vélo, le maire de la petite ville a obtenu le départ du contre-la-montre de l’édition 2018. Et cela avec d’autant plus de fierté que la Grande Boucle n’avait pas fait escale dans la région depuis désormais douze années.

Le programme de l’après-midi est alors établi. Après un pique-nique improvisé sur les capots et sous le soleil, nous nous lancerons à l’assaut des 31 kilomètres du parcours de l’épreuve pour rejoindre Espelette. Mais avant cela, nous rencontrons nos chauffeurs du jour. Tous sont membres de l’association Vintage Car Club.

Ce club est en partenariat depuis maintenant vingt ans avec la marque Cochonou. La marque reine de l’apéro cherchait à l’époque une muse au caractère populaire. Si elle pouvait également évoquer une certaine nostalgie dans l’inconscient collectif, le contrat serait rempli. La petite Citroën s’est alors imposée comme un choix plus qu’évident. Restait à trouver une bande de touche-à-tout assez fous pour conditionner une poignée de Deuch’ dans le but de leur faire parcourir 2.000 km, chargées comme des mules, sous un soleil de plomb. Cochonou a jeté son dévolu sur une meute de potes dans le Pays Basque, amateurs et passionnés de 2cv.

Contre-la-montre : Sur la route du Tour de France !

En avant toute ! Les fiers et légendaires bi-cylindres à plat se mettent en branle. Cap au Sud, direction Espelette à travers monts et vallées. 30 km d’un retour dans le passé de l’automobile des plus plaisants !

Rien à dire, je me retrouve bien dans mon élément. Dans le vacarme du claquement des culbuteurs, les Deuch’ enchaînent sans peine les virages et dénivelés.

Même à quatre passagers à bord, les cotes qui feront les mollets des cyclistes sont avalées allègrement en fond de seconde !

Et encore, ce n’est rien comparé au Col de l’Iseran, franchi à presque 2 800 mètres d’altitude il y a quelques années : elles respirent les grand-mères de la route !

Il est impressionnant de constater la popularité de ces autos auprès des badauds, même en dehors du Tour de France. Grands sourires, appels de phares, signes de la main : voilà le genre de petits gestes dont se régalent les membres du club.

Anecdote originale, le conducteur de la Limousine 2cv – destinée aux journalistes du Tour – nous apprend que la Caravane Cochonou a une place unique dans le cœur des fans de cyclisme. En effet, ils sont les seuls à recevoir des cadeaux de la part des spectateurs sur le bord de la route. Le monde à l’envers !

Cela s’explique également par la générosité culinaire de Cochonou. Pour idée, les attendues Deuch’ Camionnettes en robe de Vichy déversent dix tonnes de saucissons ainsi que plus de cent mille indémodables bobs par édition !

Ces dernières seront désormais épaulées par le nouveau bar à saucisson du village d’étape. Distribuant près de deux mille saucissons entiers, si avec ça on ne passe pas un bon moment, je mange mon bob !

Découverte de l’atelier : l’Ôde à la Mécanique

Après une petite pause méritée à l’issue de ce parcours exigent, en selle. On remonte sur nos deux équidés afin de nous rendre à leurs écuries. Basé à Saint-Vincent-de-Tyrose, partons à la découverte de l’atelier du Vintage Car Club.

L’antre de la genèse

L’arrivée dans l’atelier eu un écho particulier chez moi, une impression de déjà-vu.

Malgré la propreté apparente, cette odeur de cambouis flottant dans l’air me rappelle les longues heures que je peux passer sur (Et sous) mes vieux tacots. Un sentiment de plénitude m’emplit à chaque pas supplémentaire.

« Là, tout n’est qu’ordre et beauté, luxe, calme et volupté. Des clés de 13 luisantes, polies par les ans, décoreraient notre atelier. Les plus rares outils, mêlant leurs odeurs aux vagues senteurs de dégrippant. Les riches carburateurs, les tiroirs profonds, la splendeur mécanique, tout y parlerait. ». Charles Péteuse-à-air

Une passion qui dépasse la raison

Trêve de poésie détournée de son but originel, parlons de la réelle motivation de ce sympathique club. Au fil des discussions, on apprend à connaître chacun des membres. Leur objectif n’est motivé que par leur passion commune : continuer à faire vivre les petites voitures populaires qui ont fait les belles heures de nos parents et grands-parents.

Plus qu’une passion, les membres entretiennent un réel style de vie. La plupart vivent la Deuch’ au quotidien. Ils feraient tout et n’importe quoi pour aider leurs semblables ou un inconnu dans la panade avec ce genre d’automobiles. Hommes et femmes de tous horizons, ils se nomment Jéjé, Dam Vador, Cracotte, Kolem, Carhly, La Belle Vie, Dapi, Juju et Yann. Etudiant, infirmière, père de famille, chacun(e) a son histoire laissée à l’entrée du garage pour simplement tout donner. Donner son temps pour faire revivre un petit bout de passé, pour retrouver une partie de l’histoire qu’ils n’ont peut-être même pas connu, pour redonner le sourire à un conducteur d’ancienne tracassé ou n’ayant pas les moyens de s’offrir les soins d’un mécanicien trop gourmand. Bref, la vraie passion, qui donne sans attendre en retour. La joie de la satisfaction du travail accompli en somme.

Mais pour cela, le club se bat un peu plus chaque jour contre un phénomène typique de notre monde moderne. Bien inscrit dans l’aspect populaire et modeste de ce type d’autos, les passionnés sont désormais confrontés à la valeur spéculative ou au caractère de placement financier que peuvent représenter aujourd’hui les 2cv. Il devient compliqué pour eux de faire entendre raison aux gourmands opportunistes. Leurs désirs idéalistes d’entretenir ces plaisirs simples sans le coup de massue pécunier devient un chemin de croix. Trouver une nouvelle Deuch’ en épave ou dans son jus à un prix abordable, se voir vendre peu cher voire offrir des pièces détachées pour entretenir les autos des membres ou des clients du club : tout cet effort se retrouve compromis par ce nouvel état d’esprit qui ne fait que ternir la beauté de leur passion…

Heureusement que les passionnés restent sourds à ces tendances néfastes et pleinement optimistes pour l’avenir de leurs aventures. Ils demeurent fortement liés grâce au travail déjà accompli. Le ciment solide et humain de leur club se résume sur les murs du garage et des véhicules : le chapelet de leurs souvenirs écumés le long des routes du Tour de France.

Le Démon de la Mécanique

Alors que nous déroulons nos discussions au comptoir du Bar à Saucisson, un bruit nous interpelle. Cinglant, déchirant la plénitude de l’atelier, le bruit d’une clé plate tombant sur le sol en béton ciré fait taire l’ensemble des dialogues environnants. Intrigué, je m’engouffre à l’intérieur du bâtiment. Cherchant à l’oreille l’origine de cet appel de la mécanique, c’est un gerbe d’étincelles qui accroche l’œil perdu dans cette sombre clarté.

« Que se passe-t-il ? » interroge-je une des membres du club. « C’est parti, ça vient de leur reprendre. Ils vont encore tout démonter ! » me répond-elle dans un éclat de rire. En effet, afin de répondre aux questions sur leur manière d’entretenir les mascottes du saucisson, une seule solution s’est présenté à eux : « Bah bougez pas, on va vous déposer le moulin, en plus on va devoir réviser la boîte ».

Plus performant qu’un team WRC en réparation entre deux spéciales, le duo de choc ne mettra pas plus de 45 minutes pour déposer le groupe moto-propulseur. Boulons rouillés, paliers soudés, vis récalcitrantes ne feront pas de vieux os face au sourire et à l’insouciance des deux mécanos. Un coup de meuleuse savamment placé, une dextérité hors-pair avec la bombe de dégrippant, une manipulation de la chèvre les yeux fermés. Pas la peine de le préciser. La plus bête de mes questions à le droit à une réponse des plus pédagogiques et amicales : le voilà le monde de l’automobile que j’affectionne tant !

Le mécanicien que je suis – par obligation avec mes vieilles françaises synonymes de nids à pannes – ne s’y est pas trompé : ce ballet mécanique était orchestré d’une main de maître. Bien graissés, les rouages de la petite équipe fonctionnent parfaitement après deux décennies de travail commun. La passion se transmet désormais aux nouvelles générations.

Finalement, c’est une synergie incroyable que j’aimerai retenir de cette journée. D’un côté, vingt années d’un pari pris par un géant de l’alimentation à l’image bien franchouillarde. Vingt années d’une confiance louable donnée par un industriel à un groupe de passionnés. De l’autre côté, vingt années d’un investissement permettant d’entretenir l’amour des vieilles voitures populaires au sein d’un club. Pas seulement un amour entre potes, mais bien un amour rayonnant aussi sur toute la région basque. Même si ce constat reste un poil idéaliste, je me complais à me dire que le monde n’est pas si pourri que ça. Il existe encore des belles aventures franches et humaines permettant d’entretenir cette magnifique flamme qu’est la voiture ancienne. Un seul mot ponctuera cette journée. Un seul mot envoyé à l’ensemble des acteurs de ce projet aux multiples facettes et objectifs : Merci !

Depuis 20 ans, sur le Tour de France le saucisson rime avec fleuron de la France !