Dans le rétro de Jensen : L’Alfa Roméo Giulietta
Alfa Roméo Giulietta : Pas vraiment Alfa, ni vraiment Juliette…
Au milieu des années 70 la situation d’Alfa-Roméo est, une fois de plus, très inconfortable.
Si l’Alfasud et la berline Alfetta qui apparaissent en 1972 sont effectivement des réussites tant techniques que commerciales, la société pourtant nationalisée depuis les années 30 est encore et toujours face à des problèmes récurrents de trésorerie.
Quand à la Giulia, si chère au cœur des Alfistes, elle à désormais plus de dix ans… Sa carrosserie est passée de mode et elle doit être remplacée, mais par quoi ?
L’Alfetta fut une fantastique berline, à la fois confortable et performante. Beaucoup sont convaincus qu’il s’agit d’ailleurs de la dernière « vraie » Alfa-Roméo. Sa tendance effarante à la corrosion ternira hélas beaucoup sa légende…
La Giulia, géniale petite berline présentée en 1962. Son dessin fera autant pour la réputation d’Alfa-Roméo que son brio sur la route ! Mais, au milieu des années 70, son remplacement devenait vraiment urgent.
Un tout nouveau modèle issu d’une feuille blanche ? Hors de question ! Il n’y a plus une Lire disponible dans la trésorerie… Alors on va devoir faire avec ce qui existe.
On va partir de la base technique de l’Alfetta dont on reprend plateforme, cellule centrale et disposition technique avec moteur longitudinal avant, boite de vitesses accolée au différentiel arrière avec freins à disques inboard.
Afin de ne pas laisser à penser que la nouvelle venue remplace l’Alfetta on va devoir « descendre en gamme » concernant la motorisation, on prévoit donc un moteur 1300 de 95cv et un 1600 de 109cv, les 1800 et 2 litres restant l’apanage de la berline statutaire de la firme (en attendant la prestigieuse Alfa 6 dont la sortie est sans cesse repoussée).
Les blocs à double arbre à cames en tête sont issus de la Giulia, le 1600 étant d’ailleurs intégralement repris sans la moindre modification alors que le 1300 est monté en cylindrée (1357cm3 au lieu de 1290cm3, un peu pour gagner en puissance mais surtout pour satisfaire les nouvelles normes antipollution).
Innovation pour la nouvelle venue la suspension avant va être dotée de barres de torsions longitudinales, alors que l’arrière conserve les ressorts hélicoïdaux et le pont De Dion de l’Alfetta.
L’intérieur va faire l’objet d’une certaine recherche (voire même d’une recherche certaine !), avec un combiné d’instruments original avec tachymètre et compte-tours en demi-cercles, qui se règle en hauteur, en même temps que le volant.
Seul problème les aiguilles ne partaient pas dans le même sens, il fallait un certain temps d’adaptation pour le conducteur.
Par contre, le Génie italien est souvent excessif, avec un volant tellement « Design » qu’il en devient tarabiscoté voire même, disons-le franchement, ridicule…
Des volants laids la production mondiale en verra passer, mais des comme lui ce sera plus rare.
Et pour le nom ? On reprend Giulia ?
Non… Ce modèle s’éteint en 1977 juste avant la présentation de sa remplaçante, et la Direction souhaite faire le distingo entre les deux d’autant plus qu’aucune déclinaison Coupé n’est prévu pour la nouvelle venue (le fameux « Coupé Bertone » est en fait un « Coupé Giulia », mais le nom du carrossier est passé dans le langage courant) on va donc reprendre le patronyme de celle qui a précédée, à savoir la Giulietta produite de 1954 à 1962.
La Nuova Giulietta est présentée en novembre 1977 à la presse internationale.
Les premiers essais réalisés dans la foulée laissent assez perplexes les spécialistes…
En fait cette nouvelle berline, et personne n’en sera dupe, a véritablement « le cul entre deux chaises ».
Présentée comme la suite logique de ses glorieuses aînées, elle n’en a ni le ramage ni le plumage…
Présenter la nouvelle venue entre la Giulietta « originale » et la Giulia qui laisse nombre d’Alfistes pratiquement orphelins sera une énorme erreur, à la limite du « foutage de tronche » pour beaucoup.
Les moteurs ? Boff…
Un 1.3 litre de 95cv un peu à la peine pour propulser une berline dont le poids dépasse désormais largement la tonne et un 1.6 litre, certes plus véloce, qui n’est pas non plus un foudre de guerre dans l’absolu.
Ce dernier a aussi pour lui le défaut de montrer clairement le problème en conduite sportive, à savoir la volonté de la marque d’avoir voulu commercialiser une voiture « facile » avec un réglage de suspensions qui privilégie clairement le sous-virage et qui rend l’auto peu agréable à piloter si on la pousse dans ses limites.
Et franchement 109cv Din pour 165 km/h en pointe, 11 secondes pour le 0 a 100 et 34,5 secondes pour le 1000m départ arrêté c’est franchement moyen !
On remarquera une présence féminine au volant pour les photos de présentation…
… Elle symbolise une certaine facilité de conduite de l’auto, au détriment de la brutalité « pure et dure ».
Au chapitre des points positifs, il faut noter l’habitabilité généreuse pour une voiture de ce segment, ce qui est d’ailleurs normal puisque la cellule centrale provient du niveau supérieur…
L’équipement est très convenable, mais la contenance du coffre avec 370 litres est assez faible pour une cinq places.
Le design est bien entendu affaire de goût, mais la Giulietta « 1978 » ne laisse personne indifférent, avec son avant plongeant et son coffre à la fois court mais aussi très haut, vision renforcée par des feux arrières placés au sommet, et cela ne plaît pas à tout le monde.
Par contre le Cx de 0.43 est passé sous silence par la marque, il faut dire qu’il est pour le moins dépassé par la concurrence.
La Giulietta sera surnommée en interne « Gros Cul » par les ouvriers de l’usine.
Bref l’accueil de la nouveauté est plutôt frisquet, voire même glacial.
L’Auto-Journal parlant même d’une auto qui n’est « ni une vraie Giulietta, ni une véritable Alfa-Roméo », une vraie paire de gifles pour la marque.
Des fleurs pour Juliette ? Pour la presse spécialisée, ce sera plutôt une volée de bois vert…
Et que penser d’une « nouveauté » qui emprunte l’empattement, la disposition mécanique, les portières et l’habitacle de l’Alfetta ?
Le tarif ? La 1.6 litre est affichée à 41 200 francs, un prix identique à celui d’une Peugeot 504 TI qui a fait ses preuves malgré sa boite 4, et même 3 000 francs plus cher qu’une certaine… Volkswagen Golf GTI !
Bref la Giulietta attaque la fin des années 70 avec un certain handicap, une raison qui impose à Alfa-Roméo de corriger très rapidement le tir avec la présentation dès le printemps 1979 d’une 1.8 litre dotée d’un 1779cm3 développant 118cv Din à 5300 tours. Cette fois-ci on commence à avoir un peu de patate, et la vitesse de pointe atteint désormais 180 km/h, un caractère qui plaît un peu plus à des Alfistes pour le moins déboussolés à cette époque…
Le fait que Son Altesse Golf GTI subisse, du fait de son succès, une certaine inflation de son prix de vente rend l’Alfa compétitive d’un point de vue tarifaire, avec l’avantage indéniable des quatre portes que ne possède pas encore l’Allemande.
Ses quatre portes et son habitabilité généreuse deviennent des avantages pour les pères de famille pressés. On passera par contre un voile pudique sur la qualité de fabrication de l’auto et la résistance des matériaux à l’usage : Lamentable…
1980 va encore marquer un changement dans la gamme.
Le 1.3 litre n’est plus disponible dans notre pays (il ne s’est d’ailleurs pratiquement pas vendu, car la différence de prix avec le 1.6 litre était minime), et en avril de la même année est présentée une version 2.0 litres de 130cv à 5400 tours. Plus personne ne discute plus la « sous-motorisation » de cette Alfa, puisque nous dépassons désormais la barre symbolique des 185 km/h, quand au légendaire 0 à 100, il est avalé en 9,2 secondes.
Pourtant il y a encore des esprits chagrins pour constater que les gammes Giulietta et Alfetta se montent littéralement dessus !
A l’origine Alfa avait voulu différencier les deux modèles avec les petits moteurs dans la Giulietta et les autres sous le capot de la grande sœur, or pour le millésime 1981 les mécaniques sont désormais les mêmes sur les deux modèles. Il n’y a que le 1.3 litre qui reste l’apanage de la Giulietta sur certains marchés, plus personne ne comprend alors la politique de gamme de la firme Milanaise…
Même les prix sont voisins, il n’y a guère que 600 francs d’écart entre certains modèles de même motorisation, une misère.
Alfa-Roméo a réussi le tour de force incroyable de se concurrencer lui-même, plus besoin des autres !
Décidément quelque chose ne tourne pas rond de l’autre côté des Alpes, et la tendance nette à la corrosion sur tous les modèles de la marque est en train de faire fuir à toutes jambes les derniers irréductibles.
1982 verra quelques modifications mineures sur l’auto : Pare-chocs en plastique au lieu de métal, « déchromage » de la carrosserie, rétroviseur différent, sellerie modifiée, nouveau volant à moyeu rond, clignotants avant orange sur les 1.3 et 1.6 et blancs sur les versions supérieures… Les rapports de boite se trouvent aussi notablement rallongés sur les 1.6 et 1.8, afin de limiter la consommation.
Le volant d’origine a laissé la place à quelque chose de bien plus esthétique et surtout symbolique de la marque.
L’année suivante marquera le chant du Cygne de la Giulietta, avec un ultime restyling plus marqué :
-Abandon définitif du 1.3 litre
-Boucliers en matériaux composites
-Antibrouillards intégrés au spoiler
-Appuie-tête arrière dès la 1.8 litre
-Feux de brouillards arrière intégrés à la malle dans un cartouche en plastique afin d’affiner la ligne de l’auto
-Planche de bord redessinée avec des aérateurs empruntés à la toute nouvelle Alfa 33
-Vitres arrières électriques
Pas certain que les rajouts en plastique n’allègent vraiment l’arrière de l’auto… Ici une 2.0 litres avec ses jantes alu spécifiques.
Un Turbo-Diesel de 2 litres, au demeurant emprunté à… L’Alfetta qui le propose depuis 1980, est commercialisé sur certains marchés.
Heureusement pour nous la France sera dispensée sur la Giulietta de ce quatre cylindres de 82cv issu des établissements VM Motori (pour Vancini-Martelli les deux associés qui fondèrent l’entreprise en 1947) à la fois désagréable à l’usage, peu performant malgré son Turbo et surtout d’une fiabilité mécanique sujette à caution, car étudié à l’origine pour une utilisation marine, avec une nette tendance à la surchauffe sur les voitures.
Et puisque nous en sommes à parler « Turbo » les établissements Autodelta vont proposer pour 1984 une « Super Giulietta », avec un énorme travail réalisé sur la voiture :
-Moteur 2.0 litres avec turbo KKK, soupapes, distribution et lubrification revues de A à Z pour une puissance de 175cv qui permet à cet Opus de dépasser 205 km/h
-Intérieur spécifique avec volant cuir à trois branches et sellerie en cuir rouge
-Boucliers gris et carrosserie noire métallisée
-Suspension retravaillée
-Jantes alu avec pneumatiques Michelin TRX en côtes millimétriques
-Freins à disques ventilés
Enfin une Giulietta performante !
La fameuse Autodelta, une rareté de nos jours.
On notera la présence du tableau de bord redessiné, aux contours moins vif.
Elle ne sera hélas à ma connaissance jamais proposée chez nous, et il faudra convenir qu’arrivée en fin de carrière et proposée à un prix assez élevée elle ne trouvera guère de clients, seulement 361 exemplaires seront produits, et les derniers ne trouveront preneurs en Italie qu’en 1986, après une substantielle remise en concession.
De toute façon le rideau est tombé en mai 1985 après la présentation de l’Alfa 75 (un chiffre qui commémore les 75 ans d’existence de la firme), au profil à la fois plus moderne et plus consensuel, bien qu’utilisant la même plateforme, la même disposition mécanique et le même habitacle que son aînée, et ce toujours faute de moyens !
La Giulietta sera produite à 379 691 exemplaires, répartis comme suit :
1.3 litre : 50 890
1.6 litre : 187 064
1.8 litres : 87 468
2.0 litres : 36 767
TD 2.0 litres : 17 141
Autodelta : 361
A noter que la 75 fera à peine mieux avec un peu moins de 387 000 exemplaires en huit ans également, mais son aura est toute autre de nos jours.
Ainsi se termine l’histoire d’une des Alfa-Roméo parmi les plus décriées de la marque : Mal positionnée, mal dessinée, au comportement routier très contestable pour tous les afficionados du Biscione elles ont quitté la scène par la petite porte « refourguées » à vil prix, ou mises purement et simplement à la casse avec tous les honneurs d’une rouille qui les rendaient irrécupérables.
Les Giulietta ont fait les beaux jours de la Police Italienne, tout comme les Giulia auparavant et les 75 ensuite.
Pourtant je les aimaient bien moi les Giulietta, avec leur gros popotin et leurs moteurs quand même plus attachants que ceux des Renault 9 contemporaines…
Une auto à redécouvrir et emblématique de la situation pour le moins compliquée de la marque à l’orée des années 80.
Le plus difficile aujourd’hui étant d’en retrouver une en bon état, et là…
Jensen.