Dossiers,  Le rétro de Jensen

Dans le rétro de Jensen : la Maserati Biturbo


MASERATI BITURBO : l’histoire d’un parcours semé d’embûches…

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L’histoire de Maserati n’est pas toujours simple, mais celle de son emblématique Biturbo est franchement unique en son genre !

Oh… J’entends déjà certains d’entre-vous ricaner face à cette automobile au profil pour le moins sulfureux qui a accumulée durant sa carrière tous les griefs possibles et imaginables :

-Moteur fragile
-Démarrage à chaud difficile
-Corrosion endémique
-Finition à l’Italienne
-Comportement routier instable, voire même « méchant » si l’on s’en tient à certaines sources du web et à sa cohorte de Mécanos du dimanche
-Tendance à l’incendie etc etc…

Un tissus de mensonges que toutes ces accusations ?

J’adore me faire l’avocat du Diable, ça me donne de l’importance… Alors je répondrais (presque…) OUI !

Mais avant d’entrer dans le vif du sujet, il est capital de remettre les choses dans leur contexte.

En 1967, Adolfo Orsi, propriétaire de Maserati depuis l’avant seconde guerre mondiale et alors à la recherche d’argent frais, prend contact avec Citroën, qui recherche alors un motoriste de qualité pour son futur haut de gamme : la SM.

L’affaire est rondement menée, et Citroën se porte acquéreur de 75% des actions de la marque en 1968, les Français sont désormais les patrons.

Pour « fêter ça » on présente la Bora en 1971, une berlinette à moteur V8 4,7 litres en position centrale-arrière de 310cv, incluant à bord quelques innovations Made in France comme le freinage hydraulique à haute pression, elle est alors considérée comme la GT la plus sécurisante à conduire, et de très loin la plus homogène du moment.

La Bora, une auto aussi formidable que gloutonne ! Sans doute la GT Italienne la plus aboutie de sa génération.

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Pourtant Citroën recule devant le V8 pour sa propre GT, et demande plutôt un V6 aux motoristes Italiens.

(Ayant déjà fait un article dessus, je ne reviendrais pas sur l’échec que fut la SM)

Au milieu des années 70 la catastrophe se fait jour : Citroën est dans une situation financière désastreuse, la Bora se vend mal (20 litres aux 100 en plein choc pétrolier !) et la SM est un désastre retentissant, pas de quoi pavoiser…

C’en est au point que la firme du Quai de Javel est lâchée par Michelin et revendue en 1975 à Peugeot qui n’a que faire de l’Officine. L’Etat Italien intervient alors et tente de trouver un repreneur, ce sera un Argentin d’ascendance Italienne installé dans la péninsule depuis une vingtaine d’années déjà propriétaire d’Innocenti : Alejandro De Tomaso.

La fin des années 70 sera passée à tenter de maintenir la tête de Maserati hors de l’eau avec une Merak issue de la Bora avec un moteur V6 de deux litres (les autos d’une cylindrée de moins de 2000cm3 sont alors taxées à 19% en Italie, 38% au-delà !), une Kyalami qui n’est rien d’autre qu’une De Tomaso Longchamp avec un V8 Maserati, et une Quattroporte 3 au style un peu lourdingue et au prix conséquent.

Pour De Tomaso le salut ne peut intervenir qu’avec l’arrivée d’un nouveau modèle, plus bas dans la gamme et apte à concurrencer les marques Allemandes. La cible est clairement désignée : La BMW Série 3 E21 qui fait un véritable carton tant en Europe qu’en Amérique du Nord.

La BMW Série 3 Type E21. Présentée en 1977 l’évolution 3.23i avec ses 143cv faisait figure d’idéal automobile.

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Le cahier des charges sera fourni :

-Une auto de petite taille avec quatre places mais au « style Maserati »
-Un moteur certes puissant mais ne dépassant pas les 2 litres de cylindrée (toujours pour des raisons fiscales)
-La nouvelle venue doit être capable d’être homologué tant en Europe qu’au Moyen-Orient ou aux States
-La capacité de production doit être conséquente, la marque doit absolument sortir de « l’artisanat amélioré » qui est le sien et où l’avenir est sombre.

Le budget ? Minimal, une fois de plus Maserati n’a pas d’argent…

L’étude d’un moteur atmosphérique de 2 litres ne donne pas grand’chose, tout au plus 150cv au banc… C’est insuffisant pour enterrer la concurrence et de toute façon trop faible pour l’image du constructeur, ce qu’il faudrait c’est au moins 170/180cv.

L’idée est alors proposée à De Tomaso de doter le moteur d’un turbo qui permettrait de rester dans les clous côté cylindrée, et qui doperait à bas coût le moteur d’au moins 20cv supplémentaires. Bien que peu enthousiaste il finit par accepter la chose, à vrai dire le choix était restreint compte-tenu de la situation de la marque…

A cette époque le pessimisme de De Tomaso à l’égard du Turbo n’est d’ailleurs pas sans fondements.

Les années 70 ont vu l’arrivée de la BMW 2002 Turbo et de la Porsche 930, des autos il est vrai entrées « dans la légende de leur vivant », mais dont le comportement routier avec leur Turbo tendance « on/off » en faisait des engins pour le moins virils, voire même carrément violents.

La mythique BMW 2002 Turbo, au style aussi viril que sa conduite.

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L’ajout d’un de ces accessoires sur une Maserati ne lui plait donc pas, il craint en effet une certaine dévalorisation de la réputation de la marque, elle qui est justement renommée pour le raffinement de ses mécaniques.

Il n’a de toutes façons pas le choix, faute de temps et de budget le Turbo semble être la seule solution pour garantir une auto aux performances dignes du blason.

Pourtant tout n’est pas si simple : La turbine initialement prévue ne peut entrer dans le compartiment moteur calculé au plus juste pour le V6 issu de la SM, à la distribution retravaillée par la présence de courroies crantées et doté de trois soupapes par cylindres (deux à l’admission et une à l’échappement). Un technicien a alors une idée formidable : Pourquoi ne pas installer deux petits Turbo au lieu d’un gros ? Cela aura aussi pour avantage de limiter le fameux temps de réponse qui a déjà posé tant de problèmes chez la concurrence, quand à commercialiser une Maserati V6 « Bi-Turbo » cela aurait de la gueule dans le dossier de presse.

Les entrailles de la Bête.

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Va donc pour cette option technique car le temps est compté désormais.

Les années 1978, 1979 et 1980 seront les témoins d’un vaste « chantier » au sein de l’Officine (pour ne pas dire d’un joyeux bordel…) avec des mécanos qui passent leur temps à tenter de fiabiliser suspensions, carburation (De Tomaso ne veut pas entendre parler de l’injection et la mise au point du carburateur pose de gros problèmes, comme il en posera d’ailleurs aux clients des premiers millésimes) et puissance du moteur (on tirait alors facilement 210cv du V6 mais la fiabilité étant une catastrophe il est décidé de le limiter à 180cv pour la commercialisation).

Pendant ce temps les dirigeants tentent de trouver une solution concernant la capacité de production, car si l’on jure alors aux créanciers avoir trouver l’arme absolue qui réglera tous les problèmes de Maserati encore faudrait-il pouvoir la fabriquer. Propriétaire de l’usine Innocenti de Lambrate complètement sous-utilisée, Alejandro De Tomaso fait en sorte d’y faire fabriquer les carrosseries, ces dernières une fois peintes seront transférées sur Modène pour le montage de la mécanique et de l’intérieur.

La nouveauté est présentée en grandes pompes le 14 décembre 1981, 67 ans jours pour jours après la création de Maserati, elle est attendue de pied ferme par une presse impatiente mais aussi par tous les créanciers qui estiment que cette fois-ci « ça passe ou ça casse« , il n’y aura pas de nouvelle chance offerte à Maserati en cas d’échec commercial, il faut dire que la firme se contente d’une production de 500 véhicules par an, c’est trop peu et la Biturbo est l’ultime recours.

Le rideau se lève…

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180cv Din à 6000Trs, le 0 à 100 km/h en 7,2 secondes et moins de 28 secondes pour franchir le kilomètre !!!!! Vitesse de pointe ? 215 km/h !

La mécanique ? V6 18 soupapes de 1995cm3 et deux Turbo (des IHI Japonais), boite mécanique ZF à 5 rapports.

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La carrosserie, très anguleuse, mesure 4,15m de long pour 1,70m de large et 1,30m de haut. Elle permet à quatre adultes d’y voyager convenablement (la voiture est une deux portes à l’origine).

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L’intérieur est somptueusement traité : Sellerie en velours plissé, quatre appuie-tête, vitres teintées électriques, climatisation… Par contre les « boiseries » sont fausses.

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Le cuir, lui aussi plissé, était disponible sur demande.

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La critique est unanime, les Tifosis s’enflamment… Maserati est de retour, et pour de bon !

Lors du Salon de Turin 1982 les commerciaux sont débordés, idem à Genève et pourtant l’auto n’est toujours pas disponible à la vente, on ne peut qu’enregistrer des commandes qui se chiffrent désormais en milliers, Maserati est sauvé. Les premières livraisons interviennent en Juin en Italie et, au 31 décembre, ce sont pas loin de 2000 Biturbo qui auront été remises à leurs acquéreurs, une progression phénoménale, inédite pour Maserati qui quadruple pratiquement sa production ! On se congratule, on se félicite et surtout l’on s’apprête à exporter l’auto, en France ce sera pour l’été 1983.

Malheureusement de sinistres rumeurs commencent à faire le tour de l’usine, il paraît que les premiers clients sont très mécontents de leur voiture : Démarrages à chaud compliqués voire même impossibles, finition légère, circuit électrique au niveau des Fiat contemporaines et surtout de nombreuses casses mécaniques, visiblement l’auto manque de la plus élémentaire fiabilité ! Même la peinture n’est pas au top, les couches sont appliquées de manière trop inégales, visiblement les chaînes de Lambrate ont encore du chemin à faire pour tutoyer la perfection.

Je vous l’ai déjà dit : Il fallait faire du neuf pour rassurer les banques et ce fut chose faite, mais l’auto n’était pas encore au point et beaucoup parmi le staff de l’usine le savaient… Pour être clair il aurait fallu continuer les essais de la Biturbo au moins durant six mois (certains avancent même un an) avant de songer à une commercialisation.

Les problèmes auraient pu être résolus durant ce laps de temps :

-La chaleur excessive du compartiment-moteur qui génère du Vapor-lock dès le contact coupé et qui empêche le redémarrage avant au moins une heure, sans parler des gaines du circuit électrique qui ne supportent pas le traitement thermique.

-La distribution encore très fragile.

-Les turbos qui grippent, souvent par la faute des utilisateurs Transalpins encore adeptes du grand coup d’accélérateur avant de couper le contact, mortel pour des turbines qui tournent ensuite non lubrifiées.

-Le carburateur, dont la présence sur un tel modèle en 1982 était déjà un anachronisme, prisonnier d’une boite à air que l’on doit retirer afin de peaufiner les réglages. Dès cette dernière remise en place tout est à refaire…

Le peu de réactivité du réseau, encore sur son petit nuage, va tourner à la farce et même si Internet est encore du domaine de la science-fiction les mécontents finissent par se faire entendre et la Biturbo va très rapidement acquérir une réputation de boite à chagrins et acquérir son surnom de « Piège de cristal ».

La Biturbo est très souvent considérée comme un désastre sur roues, en particulier sur le net. C’est un peu réducteur… Si effectivement les millésimes de 1982 à 1984 posaient de gros problèmes, les suivants seront nettement meilleurs.

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Néanmoins les ventes en 1983 sont encore au beau fixe et l’exportation de la Biturbo débute en fanfare.

Certain d’avoir trouvé le bon filon Mr De Tomaso décide de rapidement décliner toute une gamme à partir de la Biturbo et, jusqu’en 1994, ce ne sont pas moins de 38 variantes qui vont voir le jour !

Par soucis de simplification je ne citerais que les plus marquantes :

1983 : Apparition d’une version « Sportive » dénommée Biturbo S, même mécanique mais présence d’échangeurs air-air et de prises d’air sur le capot. 205cv pour 220 km/h.

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1984 : Berline 4 portes 425 avec empattement rallongé et moteur 2,5 litres de 200cv, Spyder deux places réalisé avec le concours de Zagato et présentation d’une 228 qui d’après Maserati préfigure le « futur » de la marque : Design adouci et moteur 2,8 litres de 255cv aux turbos refroidis par eau.

425

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Spyder

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228

Maserati-Biturbo-228
1985 : Biturbo II enfin fiabilisées : Turbos refroidis par liquide, différentiel à glissement limité, nouvelles jantes en alu, starter automatique…

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1986 : La S devient Si en adoptant l’injection. Le 2 litres développe ici 220cv pour 225 km/h en pointe. La 228 est enfin mise au catalogue mais les premières ne seront vendues qu’un an plus tard.

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1987 : La berline devient 430 avec le 2,8 litres qui équipe aussi le coupé Karif, un Spyder doté d’un hard top fixe en acier.

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1988 : Le nom « Biturbo » est abandonné sur toute la gamme, ce dernier étant entaché d’une mauvaise réputation rédhibitoire. Place à la nouvelle 222 en coupé 2 litres restylé d’une puissance de 222cv et capable de 222 km/h… La berline est baptisée 422.

222

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Un coupé 224 voit aussi le jour : Moteur à quatre soupapes par cylindres, 245cv et 230 km/h.

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1989/1990 : Modifications esthétiques, en particulier concernant les boucliers sur tous les modèles.

1991 : Présentation de la Shamal, coupé hyper-musclé dessiné par Marcello Gandini sur la base de la Biturbo. Moteur V8 3,2 litres de 326cv, boite à 6 rapports Getrag, 270 km/h et 0 à 100 en 5,3 secondes !

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Tous les autres modèles possèdent désormais la face avant de la Shamal.

C’est le cas pour ce Spyder.

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1992 : La 228 n’est plus produite (seulement 469 exemplaires ont été vendus…) et tous les moteurs qui restent au catalogue sont désormais catalysés.

Lancement de la Ghibli II : Moteur V6 2 litres de 306cv ou 2,8 litres de 280cv.

La Ghibli, ultime aboutissement de la lignée Biturbo.

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Les dernières 430, 222, Karif (185 voitures construites) et Spyder (3076 unités produites) quittent la scène en 1994, il faut attendre 1996 pour assister à la fin de la Shamal (369 exemplaires) et 1998 pour les ultimes Ghibli (un joli succès avec 1429 exemplaires sortis de chaînes).

Le chiffre total de production des coupés et berlines de la série « Biturbo » au sens le plus large se montre à 33 000 unités environ entre 1982 et 1994, pas mal du tout pour un constructeur habitué aux petites séries !

Le plus gros reproche que l’on puisse faire en conclusion à la Biturbo fut une commercialisation trop prématurée, mais peut-on la considérer comme responsable des errements de la direction de l’époque ?

Désormais intégré, depuis 1997, au groupe Fiat Maserati va connaître une nouvelle prospérité avec ses Quattroporte, 3200GT et autres Ghibli « actuelles » qui ont fait la renommée d’une marque dont on ne compte plus les « disparitions évitées de justesse ».

Puisse t-elle encore longtemps perdurer…

Jensen.