Dossiers,  Le rétro de Jensen

Dans le rétro de Jensen : La Citroën SM


Citroën SM : Sa Majesté et ses déboires 

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Nous sommes en 1966. La DS tient le haut du pavé dans une France Gaulienne qui a retrouvée son lustre d’antan.

Pourtant cette auto a toujours eu un gros défaut malgré ses innombrables qualités : Il lui manque un « vrai » moteur.

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Toujours propulsée depuis 1955 par un quatre cylindres issu de la Traction Avant, le six cylindres à plat pourtant prévu (et d’ailleurs réalisé) par les ingénieurs de la marque ne sera jamais produit en série et monté sur la voiture, faute de budget.

C’est à cette époque que sort le projet « S », une esquisse sur ce qui devrait être une « Super DS » capable de relier les grandes métropoles du pays sur des autoroutes où la vitesse est, pour quelques temps encore, libre.

Le cahier des charges est assez simple :

-Carrosserie aérodynamique
-Suspension hydropneumatique
-Freinage et tenue de route « Citroën »
-Moteur d’au moins 6 cylindres

Pour ce dernier point les finances manquent toujours et le projet fait alors du surplace…

Fort heureusement en 1968 le constructeur Italien Maserati est à vendre. Citroën profite de l’aubaine pour s’approprier une firme alors connue pour ses moteurs à hautes performances.

Pour réaliser le bloc capable de propulser le futur haut de gamme de la marque aux chevrons on reprend une étude de V8 réalisée par l’ingénieur Giulio Alfieri que ce dernier avait abandonné avant-terme. On lui retire deux cylindres pour obtenir un V6 en alliage de 2,7 litres alimenté par trois carburateurs, ce dernier est installé sur un chassis de DS raccourci pour l’occasion…

Les premiers essais sont grandiloquents : 192cv et plus de 220km/h en pointe… Cette fois-ci les Français tiennent enfin « leur » moteur !

Il reste deux années avant de présenter l’auto à l’occasion du Salon de Genève 1970, c’est court mais on en profite pour peaufiner une carrosserie qui doit être digne des autos de la marque, non seulement son Cx sera très bas pour l’époque avec 0,34, mais la face avant recevra six optiques toutes placées derrière une gigantesque verrière translucide qui englobe aussi la plaque minéralogique, à noter que les phares sont à assiette constante et deux d’entre-eux orientables en virage.

Maquette en bois d’étude des formes de la carrosserie.

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La direction ? Assistée avec deux tours de butée à butée et système Diravi (Direction à rappel asservi à la vitesse) avec rappel en ligne droite automatique, sans parler de la colonne réglable en hauteur ET en profondeur, une première Européenne.

Les freins ? Quatre disques assistés.

La suspension ? Si je dis « ressorts à lames » vous n’allez pas me croire… Non, hydropneumatique bien entendu, avec quatre roues indépendantes pour une tenue de route et de cap irréprochable.

L’arrivée de ce coupé de luxe au sein de la gamme au printemps 1970 fait donc l’effet d’une bombe, autant pour la « France profonde » que la concurrence d’ailleurs.

En fait personne ne s’attendait vraiment à voir Citroën venir jouer sur les plates-bandes de constructeurs tels que Mercedes ou Jaguar, et beaucoup se demandent un peu si le Quai de Javel sait vraiment où il est allé mettre les pieds…

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Le moteur dans sa configuration définitive est donc un V6 en alliage à 90° (normal puisqu’il s’agissait d’un V8 à l’origine, comme le fameux PRV) de 2670cm3 développant 170cv à 5500Trs, quatre arbres à cames en tête, trois carburateurs double-corps et refroidi par eau.

La boite de vitesses est mécanique à cinq rapports, le tout entraîne la nouvelle SM (pour « Sport Maserati » ) à la vitesse de 220km/h.

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868 exemplaires vont trouver preneur cette année-là, la commercialisation n’intervenant qu’à la fin du premier semestre.

L’intérieur est un peu dans la période psychédélique du moment, avec son volant et ses compteurs… Ovales !

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1971 sera une sorte d’apothéose pour la SM, qui enregistre 4988 ventes !

On notera même une victoire au Rallye du Maroc pour une voiture pratiquement de série.

La SM ne détestera pas être confronté au sable ou à la poussière, mais « un manque de moyens » etc etc…
A noter que le dictateur fou Amin Dada remportera un rallye en Ouganda avec sa SM cadeau du gouvernement Français. On s’apercevra après l’arrivée qu’il avait parcouru bien moins de kilomètres que les autres concurrents. Aurait-il triché ?

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Roulerait-elle vers le succès ?

Hélas… C’est aussi à cette époque que de plus en plus de clients font part de leur mécontentement.

En fait le V6 est victime de plusieurs soucis :

-Une architecture compliquée, en particulier au niveau de la distribution. Et sur ce groupe qui fut étudié pour une propulsion on n’a rien trouvé de mieux pour le faire fonctionner dans la SM que de le « retourner » à 180°, résultat : La distribution « compliquée » se trouve désormais du côté de la cloison pare-feu et donc très difficile d’accès.

-Une qualité de construction du moteur par le personnel Maserati pas toujours au Top, l’Italie traversant alors une de ses crises à répétition dont elle a le secret.

-Un réseau pas du tout formé pour intervenir sur une telle mécanique, les mécanos Citroën étaient plutôt habitués aux moteurs de DS ou aux bicylindre des 2cv et autres Ami 6… Bien souvent ils transformaient un simple dysfonctionnement en une véritable catastrophe…

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Pourtant 1972 s’annonce encore sous les meilleures hospices, notre Président Georges Pompidou est un fou de voitures qui ne veut pas entendre parler de limitations de vitesses, le programme autoroutier bat son plein ce qui ne peut que bénéficier à la SM et la presse Américaine vient de décerner à l’auto le titre de Voiture de l’année 1972 aux USA, une première pour une auto étrangère !

Elle y est considérée comme un excellente produit, vendu là-bas avec un V6 porté à 2965cm3 et 190cv pour supporter une boite automatique Borg-Warner à trois rapports sans que les performances ne s’effondrent. La tenue de route y est vantée comme bluffante et l’auto très facile à maîtriser en conduite rapide, par contre un prix de vente de plus de 10000$ et un réseau de distribution pour le moins clairsemé ne plaident pas en sa faveur…

Une SM export USA. L’avant sera modifié par les feux réglementaires américains et l’interdiction formelle d’y doter les optiques de globes translucides.

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En fin de compte le tiers des 4036 SM produites cette année-là ira aux USA, mais ce sera malheureusement la dernière année.

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Le pays, lui aussi touché par de trop nombreux accidents de la route, impose un renforcement notable des règles d’homologation pour les véhicules qui y sont commercialisés. Le plus important concerne l’installation de pare-chocs d’une taille conséquente et surtout d’une hauteur imposée, or la SM avec sa suspension hydropneumatique ne peut s’y soumettre…

Le pays ne tolérant aucune dérogation et une modification de la voiture étant hors de propos compte-tenu des investissements nécessaires Citroën décide de quitter le marché US à la fin de l’année.

1972 sera aussi l’année où les fameuses jantes « RR » en résine renforcée (brevet de la NASA) étaient disponibles en option. Poids unitaire : 4kg, contre 9kg pour les jantes en tôle !

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Une jante « Résine renforcée »

1973 annonce la fin de l’aventure.

Ayant déjà perdu un gros marché avec les USA, le Quai de Javel ne peut que déplorer un énorme tassement des ventes en Europe, en raison d’une part de la réputation de fiabilité douteuse de la mécanique, et d’autre part d’un réseau qui commence à faire preuve d’un manque de motivation flagrant vis à vis de la SM.

Pourquoi ?
Déjà les mécaniciens des garages de la marque ont très vite pris en grippe ce fameux V6 et leurs conducteurs qui n’avaient pas l’intention d’être considérés comme de « vulgaires » possesseurs de 2cv.
Mais les commerciaux aussi étaient en cause, eux qui n’ont jamais été formés à négocier la reprise des Jaguar et autres Porsche que certains clients voulaient laisser en échange d’une SM, et bien souvent ces derniers repartaient avec leur GT qu’un vendeur avait purement et simplement… Refusé de reprendre !

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On n’avait pas l’habitude chez Citroën de traiter avec une telle clientèle…

…Alors elle ira souvent voir ailleurs.

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Bref on verra très souvent des concessions (et pas les plus petites) laisser une SM au fond du Show-Room et tout faire pour qu’elle n’intéresse personne, malgré la présentation d’une toute nouvelle version à injection Bosch D-Jetronic et moteur porté à 3 litres de cylindrée pour 178cv et presque 230km/h en pointe.

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En octobre la Guerre du Kippour fait se multiplier le prix du baril de pétrole par quatre et les presque 17000 morts sur les routes de 1972 imposent dorénavant de mettre un terme à la vitesse.

Le 1er décembre 1973 elle est limitée à 90km/h sur route et 120km/h sur autoroute (vite remontée à 140km/h en mars 1974 puis redescendue à 130 en novembre).

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Pour Citroën, qui n’a vendu que 2619 SM en 1973 (une chute de plus de 30% des ventes) la page se doit d’être tournée, et l’apparition des limitations de vitesses est alors un prétexte tout trouvé.

La situation financière désastreuse de la marque la conduit directement à la faillite en 1974, année où la boite automatique fait son apparition en option pour la SM sur notre marché. La firme doit être vendue, ses errements en matière de politique de gamme ayant fini par lui coûter fort cher avec une 2cv et des Ami 8 antédiluviennes, une GS qui apparaît trop tard et des DS et SM qui n’intéressent plus grand’monde.

Et dire que le HY en arrière-plan était vendu en même temps que la SM et ce dans le même réseau…

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Fiat est un instant pressenti mais le pouvoir y met son veto jusqu’au rachat par Peugeot en 1975.

Pour la SM la messe est dite depuis un moment déjà. Seules 294 voitures trouvent preneurs en 1974, et d’ailleurs les 20 dernières ont été fabriquées chez Ligier, ce constructeur ayant accepté le transfert des chaînes de montage de la SM dans ses ateliers.

Avec Peugeot il n’est dès lors plus question de GT Françaises, ni Italiennes d’ailleurs puisque Maserati sera revendu à De Tomaso, et Ligier produira encore 115 autos en 1975 avant la fermeture définitive des chaînes de production.

Production totale : 12920 voitures, dont 5729 pour la France, 4240 pour l’Europe, 2482 pour les USA/Canada et 469 pour la grande exportation.

Cette SM fut un cadeau de Georges Pompidou à Leonid Brejnev, alors Secrétaire Général de l’URSS.

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Une SM à moteur Maserati V8 fut étudiée et construite, mais le projet restera sans suite et le prototype la propriété de l’ingénieur Alfieri.

Beaucoup ont donc glosés sur les limitations de vitesse qui auraient « tué » la SM, mais c’est oublier que de telles lois sont aussi intervenues en Italie ce qui n’a jamais empêché Ferrari d’y prospérer que je sache…

En fait le mal était plus vaste, à commencer par un placement marketing de la SM complètement absurde.

Pourquoi avoir voulu concevoir un coupé ? C’est d’autant plus stupide que Citroën n’y avait pas d’image de marque, par contre l’élaboration d’une berline aurait été une excellente idée et aurait peut-être même permis d’éviter la catastrophe en 1974.

Le carrossier Henri Chapron fera un bel appel du pied à Citroën en présentant en 1972 sa berline SM Opéra mais cette dernière, beaucoup trop chère, ne trouvera que 7 acheteurs. Au demeurant le cabriolet Mylord ne fera pas mieux avec ses 8 ventes, toujours en raison d’un prix prohibitif et digne de la maison Chapron alors très connue pour les tarifs délirants qu’elle pratiquait. De ce côté Citroën aurait pu, s’il avait été décidé d’en assurer la commercialisation par le réseau, les rendre plus réalistes.

La berline Opéra, sans doute plus à propos que le coupé pour obtenir le succès…

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… Et le Cabriolet Mylord. Citroën songera à une telle déclinaison dès 1970, avant de se rétracter.

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Car en fin de compte la SM s’adressait à une clientèle qui n’existait pas : Trop grosse pour une GT et pas assez « décoiffante » (la SM était plutôt une sorte de « TGV d’autoroute » avec des accélérations plutôt linéaires et un freinage à chaud pas franchement extraordinaire), et bien entendu pas assez habitable pour concurrencer les grosses berlines allemandes ou britanniques du moment.

Quand au volet « fiabilité douteuse » des mécaniciens de génie comme Georges Regembeau ont montré qu’on pouvait faire de la SM une auto « Germanique » pour un investissement modique, cet argument ne tient donc pas et a surtout été là-aussi un simple prétexte pour ne pas insister, ce qu’un Regembeau a fait le bureau d’étude de la marque aurait du être capable de le concevoir et ce avec un minimum de motivation.

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Finalement la SM fut une sorte d‘Ovni issu de nulle part et destiné à personne, celle qui aurait du être le renouveau du haut de gamme Français n’en sera en fin de compte que le chant du Cygne…

Puisse la toute nouvelle Berlinette A110 reprendre ce flambeau avec succès.

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Jensen.