Dossiers,  Le rétro de Jensen

Dans le rétro de Jensen : La Berlinette Alpine A110


La consécration avant la résurrection

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Il faudrait être sourd et aveugle pour ne pas être informé du revival de la firme Alpine, que l’ex-Régie Renault a enfin, après des années d’hésitations et de rumeurs plus ou moins fondées, décidée de remettre sur les rails.

Marchera ? Marchera pas ?

Personnellement je ne me hasarderais pas à émettre la moindre hypothèse sur l’éventuelle réussite de la nouvelle (et ma foi fort belle…) A110 « 21éme siècle », tout d’abord parce que le marketing et moi ça fait deux, et ensuite parce que la passion n’est pas toujours bonne conseillère.

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En tous cas, et quelque soit le résultat d’une telle entreprise, on ne pourra qu’être reconnaissant envers celles et ceux qui auront tentés l’aventure, et permis à notre pays de se remémorer son glorieux passé automobile, sans avoir à battre sa coulpe devant l’association médiatico-médiocratique des pisse-vinaigre de tous poils, toujours volontaires pour vous lancer des cercueils à la figure dès que vous osez, Ô sacrilège, afficher votre passion pour autre chose qu’un monospace hybride garanti 100% « respect des familles, des ours blancs qui fondent sur la banquise et de la bien-pensance ».

Mais peut-être serait-il utile de remonter un peu le temps (mais bon sang, où ai-je foutu les clefs de la De Lorean moi …) et de se remémorer ensemble l’histoire de l’A110 « Première du nom », juste pour de se souvenir, comme ça ?

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Alpine est une marque créée par Jean Rédélé, un Dieppois fils de garagiste. Contaminé par le virus de la mécanique depuis sa plus tendre enfance, cet élève studieux né en 1922 sort diplômé d’HEC à la fin des années 40, ce brevet d’excellence lui permet de devenir le plus jeune concessionnaire Renault de France. Afin de satisfaire sa passion, il court quelques rallyes normands au volant de 4cv bricolées avec un certain succès, et fini par se faire agréablement remarquer aux célèbres Mille Milles, où il remporte sa catégorie en 1952.

Désireux de produire sa propre automobile, il commence à commercialiser des 4cv très modifiées, sous le label « Rédélé Spéciales », jusqu’à créer sa propre marque en janvier 1955 : Alpine, en référence à son plaisir de piloter sur les petites routes de montagne.

Il débute avec l’A106, un coach toujours sur la même base mécanique, avec son 747cm3 de 21cv, et dessinée par l’Italien Michelotti. Une version Mille Milles, avec une mécanique poussée à 38cv, assure une certaine renommée au jeune constructeur alors installé rue Forest, dans le 18ème arrondissement de Paris.

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La filiation de l’A106 avec la 4cv est évidente.

A partir de 1959 on monte en gamme, avec l’utilisation de moteurs de Dauphine, et la présentation de l’A108, toujours sur base de 4cv, mais avec des moteurs de 31, 37 voire 50cv. La version A108 « 998 », avec son moteur poussé à 70cv capable de presque 175km/h et disponible en coach, coupé ou cabriolet, assure définitivement la réputation de la jeune firme dans le milieu de l’automobile sportive.

En septembre 1960 Jean Rédélé et ses collaborateurs présentent la Berlinette A108 « Tour de France », jolie petite auto surbaissée qui plaît énormément à la clientèle, bien que son dessin soit un peu lourd, à l’arrière du moins.

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Le « déclic » se produira lors du salon de Paris 1962, avec la présentation de l’A110. Le jeune constructeur change alors de planète, ses bonnes relations avec la Régie Renault lui donnent la possibilité d’utiliser le tout nouveau moteur à cinq paliers de la Renault 8.

Partant de l’A108 Tour de France, Mr Rédélé demande au jeune styliste Serge Zuliani de lui redessiner la voiture. La ligne considérablement épurée (suppression des prises d’air latérales, vitres arrondies, feux arrières de R8…), la voiture va devenir celle nous connaissons tous.

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Dotée d’une caisse en matière plastique, et d’un chassis-poutre en acier sur lequel sont greffés trains roulants et mécanique, la nouvelle venue se pare du quatre cylindres de 956cm3 de la R8, d’une puissance de 55cv (SAE) à 5200Trs. Sa légèreté lui permet de dépasser les 155km/h, la légende est désormais en marche !

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Faire un inventaire de toute la gamme A110 produite jusqu’en 1977 serait long et fastidieux, et d’autres auteurs s’y sont déjà essayés avec un talent que je ne chercherais pas à plagier ici, mais disons que, pour l’essentiel, cette auto va évoluer comme suit :

La première mouture sera produite jusqu’en 1965, épaulée depuis 1964 par une A110 « 70 » dotée du 1108cm3 de la R8 Major de 66cv, et d’une A110 « 100 » équipée du 1108cm3 de la R8 Gordini, avec ses 95cv, pour une vitesse de pointe qui tutoie les 200km/h.

Pour 1966 apparaît une version A110 « 1300 », dotée du 1296cm3 de la 8 Gordini réalésé, développant 115cv (SAE), et autorisant l’auto à franchir largement la barre mythique des 200km/h, avec même une vitesse de pointe de 210.

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En 1968, la marque est engagée résolument en compétition, avec ses fameux Proto 3 litres en Endurance, mais aussi en Rallyes, où l’A110 commence sérieusement à se faire un nom, avec des victoires au Neige et Glace, dans la Coupe des Alpes ou encore au Lyon/Charbonnières-Stuttgart, et au Rallye du Var. Elle est d’ailleurs sacrée Championne de France des Rallyes 1967, avec Gérard Larousse, et en 1968, avec Jean-Claude Andruet.

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Jean Rédélé (1922-2007) aux côtés de sa fierté.

C’est en 1969 que la Berlinette va obtenir son look définitif, avec ses gros phares et ses longue-portée désormais installés en série. Année érotique qui voit aussi le déménagement des ateliers de production vers la toute nouvelle usine de Dieppe, plus adaptée que le grand garage de la rue Forest.

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Si l’A110 « 70 » avec son modeste berlingot de 66cv et la « 1300 » sont toujours au catalogue, une « 1300S » avec moteur de 120cv fait parler la poudre, et une « 1600 » de 92cv équipée du moteur 1565cm3 de la R16TS fait oublier une éphémère « 1500 » de 82cv, présente uniquement en 1968, et retirée du catalogue après… 42 exemplaires vendus !

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1970 voit une gamme totalement remaniée et, on ne s’en plaindra pas, beaucoup plus simple :

-A110 « 85 » : Moteur de la R12 retravaillé développant 81cv (SAE)
-A110 « 1300G » : 1255cm3 de la R8 Gordini pour 103cv
-A110 « 1300S » : Même bloc, mais réalésé à 1296cm3 pour 132cv
-A110 « 1600 » : Moteur de la R16TS 92cv
-A110 « 1600S » : Le même, avec cette-fois 138cv pour 215km/h en pointe

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Cette année-là, la Berlinette devient la plus grosse concurrente des Porsche 911 en rallyes, elle remporte même l’Acropole et le San Remo aux mains de Jean-Luc Théier, et fini seconde au « Championnat international des marques » (futur WRC). Jean-Claude Andruet s’adjuge le titre de champion d’Europe, après y avoir remporté cinq épreuves.

1971 verra le triomphe de la marque, avec une retentissante victoire au Monte-Carlo, grâce au pilote Ove Andersson, sans parler de l’Acropole et, de nouveau, le San Remo.

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Alpine est sacré « Championne internationale des marques » 1971.

La gamme compte désormais la présence au catalogue d’une 1600S Groupe IV, afin de satisfaire les pilotes amateurs souhaitant aligner l’auto en compétition : Moteur 1596cm3 de 155cv Din à 7000Trs, préparation spécifique pour la compétition (arceau, harnais, protections inférieures etc etc…)

C’est aussi l’arrivée de la très attendue A310 qui, dans l’esprit des dirigeants d’Alpine, doit être l’héritière de l’A110. Hélas l’auto, mal finie, trop chère et en fin de compte peu véloce, n’est absolument pas à la hauteur des ambitions initiales de la firme…  Afin de laisser de la place à la nouvelle venue, la gamme A110 est nettement simplifiée pour 1972, avec pour seules survivantes les 1300 « 85 » et « 1600S ». Pour Alpine l’erreur sera très lourde de conséquences…

En 1973 on assiste à l’apogée de l’aventure en Rallyes avec un véritable déluge de victoires :

-Monte-Carlo avec Jean-Claude Andruet
-Maroc et Autriche avec Bernard Darniche
-Tour de Corse avec Jean-Pierre Nicolas
-Portugal, Acropole et San Remo avec Jean-Luc Thérier

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Alpine est sacré CHAMPION DU MONDE DES CONSTRUCTEURS !

Afin de surfer sur une vague prometteuse en compétition, on présente une A110 « 1600SC », dotée du moteur de la R12 Gordini : 1605cm3, 140cv SAE.

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Malheureusement, la mévente de l’A310, qui n’arrive pas à la cheville d’une Porsche 911 -qu’elle était pourtant censée concurrencer- a définitivement mis les compte de la société dans le rouge écarlate, et Jean Rédélé n’évite la faillite qu’en négociant avec Renault, qui devient dès lors actionnaire majoritaire de la marque. Désormais il faudra parler non plus d’Alpine, mais d’Alpine-Renault.

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Le cœur n’y est plus, et l’A110 commence aussi à avouer son âge…

La 1300 « 85 » restera au catalogue jusqu’en 1976, année où la 1600 SX vient l’épauler. Un modèle explosif cette « SX » ? 150cv au moins ? et pourquoi pas 180 hein ? Oui, pourquoi pas…

Le seul problème étant que le haut de gamme est désormais assuré par l’A310 V6, alors la Berlinette se contentera du 1647cm3 95cv de la R16TX, point-barre !

Fin de l’histoire en juillet 1977, moment où la gamme A110 cesse d’exister après 15 années de présence au catalogue. Un ultime face-lift avec feux arrière de Coupé Alfa-Romeo Bertone aura lieu sur les tous derniers exemplaires, tellement rares que beaucoup ont juré (et jurent encore) que les A110 ainsi équipées ont été modifiées par leurs propriétaires…

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Ultime Berlinette fabriquée : 1600SX, 95cv et feux d’Alfa-Romeo.

Le dernier podium en WRC se fera à l’Acropole en 1976, puis les Berlinettes seront rapidement supplées par d’autres modèles, et continueront à courir en championnats locaux, courses de côte ou Rallycross jusqu’au début des années 80.

Production totale : 7176 exemplaires, dont :

-75 berlinettes « 956 »
-450 « 70 »
-114 « 100 »
-296 « 1300 » et « 1300S »
-761 « 1300G »
-2890 « 85 »
-1550 « 1600S »
-481 « 1600SC »
-389 « 1600SX »

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On n’oubliera pas non plus les licences de production accordées par Jean Rédélé à quatre nations :

Brésil avec Willys-Overland qui produira sur place environ 1500 Berlinettes « Interlagos »
Mexique qui fabriquera environ 400 « Dinalpine »
Espagne avec FASA-Renault qui construira 1900 autos entre 1967 et 1976 (il était pratiquement impossible d’importer des voitures sous le régime Franquiste à cause de droits de douane délirants, d’où l’impératif de produire sur place)
Bulgarie, 200 « Bulgaralpine » qui feront les délices des Apparatchiks locaux…

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Après 1980, l’A110 va connaître sa traversée du désert.

Au milieu de cette décennie, les passionnés n’ont plus d’yeux que pour les GTI, qui deviennent d’ailleurs à cette époque un phénomène de société et une Berlinette, avec son « moteur de R8 à l’arrière » ne fait plus rêver que les fanatiques de la firme Dieppoise, ces derniers ayant d’ailleurs rapidement « mis à l’abri » les versions les plus affûtées. Heureuse époque où une « 1300 » ne valait plus grand’chose…

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Je me souviens d’une connaissance qui avait acquis en 1987 une A110 1300 « 85 » en état fort correct pour 20000Frs, soit environ 4500€ actuels compte-tenu de l’inflation. Je fus, du haut de ma période « post-ado qui sait tout », le premier à le critiquer et à juger qu’il venait de se faire entuber par le vendeur de fort belle manière.
J’aurais mieux fait de me taire, car de nos jours on ne trouve plus une A110 en bon état à moins de… 45000€ !

La palme revenant aux versions 1600S, qui dépassent facilement la barre des 100 000€, et si vous êtes l’heureux propriétaire d’une 1600 Groupe IV qui n’a jamais couru ni tapé, vous êtes carrément éligible pour l’ISF…

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Oui, vous avez bien lu sur l’affiche : 115000€ !

Pourtant c’était si extraordinaire que ça une A110 ?

Et bieeennn…

Comme toute auto d’artisan, elle était bruyante, mal finie et à l’ergonomie pour le moins douteuse.

Si on y ajoute une étroitesse de caisse dantesque (j’ai pu, depuis le poste conducteur, ouvrir la portière passager sans que mon dos ne quitte le dossier du siège, et je ne suis ni un géant ni un singe !), une étanchéité nulle (aucune Berlinette n’a jamais été réellement imperméable à la pluie), et un plafond qui s’approchait du crâne au fil de l’augmentation de la vitesse (par effet de succion aérodynamique), on se demande encore comment Jean Rédélé a bien pu trouver autant de clients, d’autant qu’une Berlinette n’a jamais été donnée, loin de là !

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Il fallait tout simplement délaisser les grands axes, où l’Alpine louvoyait en ligne droite à haute vitesse à cause des silent-blocs en caoutchouc montés sur les triangles de suspension, ce qui lui valut d’ailleurs la réputation de « Voiture qui ne tient la route que dans les virages », et partir à l’assaut des petites routes de campagnes ou, mieux encore, des cols Alpins.

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Son faible poids (entre 600 et 780kg suivant les versions), allié aux quatre freins à disque et à son moteur en porte à faux arrière faisaient de l’auto, pour qui savait la mener, une véritable et inoubliable usine à sensations.

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En fin de compte, la Berlinette Alpine était comme nous voyaient alors les étrangers, à savoir un truc fait de bric et de broc, mal fini, fort en gueule, un peu léger, mais pourtant diablement attachant pour qui voulait s’y intéresser, et capable de biens des miracles si l’on n’y prenait garde.

La Berlinette A110 ? Mais c’était nous ! Tout simplement

Et ça vous étonne ? Ah oui ?

Vous m’étonnerez toujours…

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Jensen.