Dossiers,  Le rétro de Jensen

Dans le rétro de Jensen : L’histoire de la marque Jensen


D’où viens-tu, Jensen ?

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Alors comme ça il parait que certains d’entre-vous s’interrogent sur l’origine de mon pseudo ?
Non, je ne suis pas un Scandinave parachuté sur Blog-Moteur suite à l’erreur d’expédition d’un quelconque Troll maléfique et mal luné…
En fait il s’agit d’une forme d’hommage à une marque automobile Britannique de nos jours disparue, si si j’vous jure !
Petit retour en arrière pour ceux qui veulent savoir…
Les frères Jensen, Alan né en 1906 et Richard son cadet de trois ans, sont des sujets de sa Gracieuse majesté qui se sentent bien vite plus attirés par les carrosseries des années folles que par de longues études. Alan devient apprenti chez un accessoiriste automobile et Richard entre chez Wolseley.
A temps perdu, les deux frangins transforment une Austin Seven afin de l’alléger et la rendre plus sportive. Cela attire l’attention des établissements de Carrosseries Industrielles Carters Green qui les engage. Sérieux et attentifs, les deux compères vont gravir une à une les marches de la société et, en 1934, Carters Green devint la Jensen Motors Limited tout en développant une nouvelle activité : La conversion de sages berlines Morris ou Wolseley en coupés et cabriolets. Ils se tournent en 1935 vers une Ford V8 et la transforment en Tourer : un élégant cabriolet à quatre places. A Dearborn, on a vent de l’aventure et on se déclare très impressionné par la qualité de la transformation, mais c’est l’acteur Clark Gable qui donne à Jensen ses lettres de noblesse en commandant l’un des premiers exemplaires assemblés.
L’effet est immédiat, c’est une vingtaine de Ford ainsi transformées qui vont retraverser l’Atlantique !

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Jusqu’à la seconde guerre, les productions de la marque conservent le V8 américain, mais les carrosseries deviennent de plus en plus spécifiques. Après le conflit les frères Jensen comprennent, contrairement aux Français de chez Franay ou Saoutchik entre autres, que l’époque n’est plus aux belles autos d’exception façonnées à la main…
Un appel fut lancé en direction d’Austin afin de fabriquer les carrosseries des nouveaux cabriolets A40, dont 3500 exemplaires sortiront de l’usine de West Bromwitch près de Birmingham, laissant assez de bénéfices aux deux frères pour commercialiser la première Interceptor : Une évolution maison d’un chassis d’Austin A70 mue par un 6 cylindres 4 litres d’Austin Sheerline.

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87 exemplaires de l’Interceptor première du nom sortiront des établissements Jensen.

En 1953, on note l’apparition du coupé 541, dessiné par Richard Jensen lui-même. Cette auto est la première quatre places de série au monde à posséder une caisse en plastique qui lui fait gagner plus de 100kg par rapport à une coque en acier, le tout sur un chassis inédit, propulsé par le même Austin 4 litres de 135cv SAE, lui permettant donc de rivaliser avec les Jaguar XK140 et même les Aston-Martin DB2. Quatre ans plus tard, le moteur fut même poussé à 152cv sur la version 541R proposée avec quatre freins à disque, il s’agit la d’une des toutes premières applications de ce type sur une auto de (petite) série.

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Jensen 541

Capable de plus de 175km/h tout en possédant un intérieur moderne traité avec le plus grand soin la 541 sera produite à 420 exemplaires jusqu’en 1959, année où une 541S plus grande fait son apparition. La série 541 est remplacée en 1963 par la CV8, un coupé quatre places au design pour le moins « tourmenté », et équipée d’un V8 Chrysler de 6,3 litres de 305cv SAE capable de 225km/h. Véritable « Dragster en vente libre » la voiture fait pourtant un bide complet, la faute à une carrosserie pas franchement réussie…

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Disons que le design de l’auto était assez… Exclusif !
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D’autres mettront directement les pieds dans le plat et affirmeront que cette voiture était carrément laide.

Jensen ne doit alors sa survie qu’à ses capacités à travailler comme sous-traitant pour certains constructeurs, en particulier Volvo pour lequel la firme réalise les premières carrosseries de la P1800 et en assurant le façonnage de la coque des Sunbeam Alpine Tiger. La CV8 sera donc un cuisant échec et seules 496 voitures seront produites jusqu’en 1966. Le coup de crayon malheureux de la CV8 laissa des traces dans l’entreprise que les frères Jensen ont quitté en 1959, et les nouveaux propriétaires décident que celle qui va lui succéder aura une impérieuse nécessité : Etre belle !
On se tourne alors vers l’Italie et c’est Touring qui dessine la nouvelle Interceptor, que la marque présente en octobre 1966 au Salon de Londres.

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Le Maître Italien n’est pas un habitué des carrosseries en composite, raison pour laquelle il choisira une coque en acier montée sur un cadre tubulaire et soudée directement sur le chassis. Ne possédant pas les infrastructures nécessaires à une production soutenue les plans de l’auto sont transférés chez Vignale, qui ajoute à l’Interceptor sa fameuse « bulle » vitrée arrière. (Force est donc de constater que Renault, quinze ans plus tard, n’a rien inventé avec la bulle de la Fuego). Les panneaux de carrosserie seront emboutis et peints en Italie, avant d’être expédiés en Grande-Bretagne pour montage final chez Jensen. Le moteur est toujours un Chrysler V8 Typhoon de 6276cm3 et 335cv SAE à 4600trs, un bloc déjà utilisé précédemment par un constructeur Français alors récemment disparu : Facel-Véga.
Les freins sont à quatre disques assistés, tout comme la direction, mais la suspension est très classique avec son pont arrière rigide nantis de ressorts à lames…
Le client a le choix entre une boite mécanique à 4 vitesses ou une automatique à 3 rapports.

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Jensen vient donc de mettre sur le marché une GT de premier ordre, capable de croiser à 225km/h tout en emmenant 4 passagers et leurs bagages sur de longues distances.
Mais c’est une autre version de l’Interceptor qui allait défrayer la chronique :
Parallèlement au coupé Mk.1, Jensen frappe fort en présentant la FF, une version allongée de dix centimètres facilement reconnaissable à ses deux grilles d’aération au bas des ailes avant et équipée de freins à disques Dunlop « Maxaret »: En fait il s’agit du premier système ABS (directement issu de l’aviation) proposé sur une voiture de série, sans oublier la traction intégrale dont le brevet fut acheté à Harry Ferguson (FF voulant dire « Formula Ferguson » ) et qui précède l’Audi Quattro de quatorze ans !
La Jensen FF, avant-garde des fameuses « Quattro » et autres « Intégrales » ou « X-Drive » !

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Malheureusement le système, avec ses différentiels, ses arbres de transmission et sa boite de transfert était beaucoup trop lourd (la Jensen pesait ainsi pas loin de deux tonnes !), la FF ne dépassait pas 210km/h et son prix de vente, pourtant astronomique, n’en fera jamais un modèle rentable.
Le pire étant l’impossibilité d’en décliner une version avec volant à gauche pour l’exportation, la disposition de la mécanique sous le capot l’en empêchant…
La production de la FF s’interrompt en 1971 après la production de 318 exemplaires seulement.

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Parallèlement, le coupé classique évolua, et en octobre 1969 apparut l’Interceptor Mk.2, dont la plus visible des modifications consistait en des pare-chocs rehaussés.

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Mk.2

La Mk.3 arriva deux ans plus tard, avec une nouvelle calandre, un habitacle totalement relooké et des freins à disques ventilés.

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On lui ajoutera même une version SP , plus méchante, dotée du V8 de 7212cm3 et 390cv SAE et gavé par 3 carburateurs double-corps. Ne dépassant pas 230km/h, ce fut aussi un échec, seuls 228 voitures seront produites en deux années.

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La crise pétrolière de 1973 portera un coup très dur à la firme, une Interceptor MK.3 ne consommant jamais moins de 17 litres aux 100km. Mais déjà à la fin des années 60, et bien qu’écoulant une grosse partie de sa production aux USA, Jensen chercha à s’appuyer sur un partenaire, l’état de ses finances se dégradant d’années en années…
On recrute alors Kjell Qvale (un Américain d’origine Norvégienne), spécialisé dans la distribution de GT aux Etats-Unis comme Président de la Jensen Motors ainsi que Donald Healey (concepteur des fameuses Austin-Healey) en tant que Directeur commercial de la marque. Leur objectif était d’accroître les ventes aux USA, et ils étudièrent donc la réalisation d’un cabriolet à 2 places dans l’esprit des MG et autres Triumph Spitfire. On envisage d’y monter un moteur Vauxhall (peu performant) voire BMW (incapable de fournir les quantités envisagées) avant d’apprendre que Colin Chapman (Mr Lotus…) vient de concevoir un 4 cylindres 2 litres double ACT sur base Vauxhall développant la bagatelle de 142cv DIN !
Contacté, ce dernier propose même l’impensable, à savoir de le vendre en exclusivité à Jensen. La firme se rue dans ce qu’elle croit être l’affaire du siècle, dessine à la va-vite une carrosserie banale et présente la « Jensen-Healey » au salon de Genève de mars 1972.

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Jensen-Healey, une auto mise au point trop hâtivement.

Las… Le moteur est un véritable piège de cristal ! Il n’est de toute évidence pas au point et quand miraculeusement l’un d’entre-eux tient le coup c’est la boite Vauxhall, jamais conçue pour une utilisation sportive, qui lâche… Beaucoup soutiennent d’ailleurs que Colin Chapman n’avait proposé ce moteur à Jensen que dans le but inavoué de le mettre au point pour ses propres productions futures.

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On verra même une Jensen-Healey « GT » façon Shooting break et singeant de très loin la Reliant Scimitar. Un échec commercial de plus…

Quoi qu’il en soit, après un peu plus de 10 000 exemplaires fabriqués (et vendus essentiellement en Amérique du nord), la production fut stoppée en mai 1976 en même temps que les dernières Interceptor Mk.3, toujours aussi confidentielles malgré la mise en production d’un cabriolet en 1973 et d’un coupé en 1975 qui n’était autre qu’un cabriolet sur lequel était fixé un Hard-Top.

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Le Cabriolet est sorti juste avant le choc pétrolier de 1973, il aurait connu meilleur destin présenté deux ans auparavant.
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Le « Coupé », fabriqué durant seulement deux années. Son seul avantage résidait dans une meilleure habitabilité pour les passagers installés à l’arrière.

Des fanatiques de la marque se sont réunis en 1981 pour faire revivre Jensen et proposer l’Interceptor Mk.4 : Identique aux Mk.3 de 1976 mais avec un V8 de 5,9 litres, commercialisée uniquement en coupé et cabriolet. En 1987, l’arrière sera redessiné et le toit rehaussé pour une meilleure habitabilité. Les responsables envisageaient même la mise en production d’une berline à quatre portes Saloon, réservée au marché Américain pour un prix avoisinant les 60 000$. Le projet ne dépassa pas le stade de la planche à dessin et la firme cessa toute production à la fin de 1988.
Une poignée d’enthousiastes ont toujours gardés la main sur le site de West Bromwitch et articulent leurs activités sur la restauration d’anciens modèles et la fourniture de pièces détachées.
Encore assez répandues en Grande-Bretagne, aux USA mais aussi en Suisse où un Club Jensen s’est constitué dès le début de la décennie 80, force est de constater que les Jensen ne connurent pas le succès en France. Bien qu’officiellement représentées par France Motors depuis les années 60, les Jensen vendues (essentiellement des Interceptors) ne dépassèrent pas la quarantaine.

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La France ne sera pas une terre d’accueil pour les Jensen, plus souvent par méconnaissance de la marque que par rejet.
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Un intérieur pourtant très largement au niveau des meilleures productions de la Perfide Albion. La finition était irréprochable.

Les Jensen-Healey n’ont jamais été distribuées en France, mais une poignée d’exemplaires ont été réimportés assez récemment venant des USA, profitant de la mode actuelle concernant les petits cabriolets.

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Franchement, vous pouvez oublier…

Grosse émotion avec le retour de la marque en 1998 grâce à des investisseurs qui injectent dans l’affaire plus de dix millions de Livres-Sterling et présentent un petit Roadster : Le SV8.

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Tentative de retour en 1998 avec la SV8, une sorte d’hommage à la controversée CV8.

Librement inspiré de la fameuse CV8 des années 50 avec un design assez « particulier » ils assurent que cette nouveauté cette fois-ci dotée non d’une mécanique Chrysler mais d’un V8 Ford de 4,6 litres et 325cv devrait pouvoir être distribuée à plusieurs centaines d’exemplaires par an et qu’au demeurant 300 autos sont déjà commandées. Pourtant la mise au point traîne en longueur et lorsque la commercialisation intervient officiellement en 2001 l’auto est proposée au prix de 40 000£ !

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Trop chère, mal finie, mal construite… Fermez le ban !

Est-ce le dessin pour le moins discutable ou bien la finition absolument pas à la hauteur du prix affiché qui a fait fuir les fameux « 300 clients » de 1998 ?
Toujours est-il que la firme fait de nouveau faillite en 2002 après la vente d’une vingtaine d’exemplaires, étant entre Gens de bonne compagnie on se gardera de tous commentaires désobligeants à l’égard des dirigeants de cette « entreprise »…
De temps en temps l’hypothèse d’une résurrection de Jensen fait le tour du web et de la presse spécialisée, dernièrement un projet basé sur la défunte Interceptor a fait l’objet de quelques titres avant que tout le monde ne s’aperçoive que l’homme derrière cette tentative était un Oligarque Russe à la fortune d’origine plus ou moins douteuse, et tout le monde en restera la…

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Un énième projet, verra t-il le jour un jour ?
Jensen-Esquisse
Esquisse de 2012, vous souhaitez participer au développement du produit ? L’investissement est risqué…

PRODUCTION

Interceptor 1 (1950-53) : 87
541 (1954-63) : 845
CV8 (1963-66) : 496
Interceptors Mk1,2,3 (1966-76) : 5 295
Interceptor Cabriolet (1973-76) : 509
Interceptor Coupé (1975-76) : 47
Interceptor SP (1971-73) : 228
Interceptor FF (1966-71) : 318
Jensen-Healey Cabriolet (1972-76) : 10 453
Jensen-Healey Coupé GT (1975-76) : 459

TOTAL : 19 045 exemplaires.

Interceptor Mk4 (1985-88) : Confidentielle (25 voitures ?)
SV8 (2001-2003) : Pas plus de 20…

C’est étrange de songer au début d’une passion… Pour moi ce fut en 1971 lorsque un copain de Régiment de mon père vint à la maison nous présenter son épouse. Ne souhaitant pas arriver les mains vides il avait dans ces dernières une auto miniature de marque Dinky Toys qu’il destinait au fils de la famille, un petit garçon de cinq ans qui se retournait déjà au passage des voitures dans la rue : Moi.
Je ne pense pas qu’il se douta un seul instant du choc qu’il m’occasionna à l’ouverture de la boite… Une superbe voiture jaune, d’une marque que je ne connaissais pas ! L’âge, la passion et une documentation de plus en plus abondante (et invasive) à fait le reste…
Du haut de mes cinq piges j’ai juré Mordicus « qu’un jour j’aurais une Jensen », et je n’ai jamais renié cette promesse. Un jour viendra, j’en suis certain…

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Jensen.