Dans le rétro de Jensen : L’Opel GT
OPEL GT : L’exception de Rüsselsheim
Opel au début des années 60 ?
Une marque dans le giron de la puissante General Motors depuis 1929, qui conçoit et fabrique des autos certes réputées solides, mais aussi gaies qu’un jour de brouillard.
Pourtant en 1962 à Detroit on commence à s’inquiéter des démarches de la concurrence car on signale que Ford, l’ennemi juré, est en train de peaufiner un projet baptisé « Mustang » (il s’agit alors d’un roadster au style très particulier avec un moteur en position centrale) qui pourrait bien être vendu en Europe avec succès.
C’en est assez pour le légendaire Bill Mitchell, chef designer de la GM, qui décide de dépêcher sur le vieux continent son adjoint Clare Mc Kichan, avec pour mission de « secouer un peu » la filiale Opel en concevant un coupé sportif à la taille de l’Europe, car si la Corvette est un beau succès aux USA (et en passe d’ailleurs de devenir une légende planétaire) sa taille en particulier la rend difficile à vendre hors de son pays d’origine.
Le cahier des charges est très simple : Reprendre un maximum de pièces disponibles sur d’autres modèles de la marque, on fera à l’économie !
On part du soubassement de la Kadett, une brave berline sans histoires aux antipodes du sport automobile, et on lui greffe le moteur 1900 de la Rekord revu et corrigé.
L’Opel Kadett, une banale berline de gamme moyenne qui finira presque par devenir une sportive !
Mc Kichan et son équipe vont alors dessiner une carrosserie à partir d’une feuille blanche, et on peut dire que le résultat sera assez étonnant, avec une face avant très plate, des ailes bien rebondies, et un arrière coupé à angle droit : L’Opel Experimental GT est née !
L’Experimental GT, son regard fatigué lui donne des airs de voiture du film d’animation Cars…
Sa présentation lors du Salon de Francfort de septembre 1965, alors qu’elle n’est considérée officiellement que comme « une étude de style non commercialisable » fait le Buzz comme on le dirait de nos jours…
De nombreux visiteurs et des journalistes par dizaines font le siège du stand de la marque pour demander quand sera commercialisée cette nouveauté, et son exposition au Salon de Genève en mars 1966 génère le même phénomène.
Pourtant la GM prend son temps. En fait ce concept-car ne sera plus jamais vu nulle part, et on en déduit dans les milieux autorisés que cette GT était surtout destinée à attirer l’attention sur une marque qui commence depuis quelques temps à sortir de sa torpeur, avec notamment la présentation en 1967 d’une Kadett 1100 SR au moteur de 59cv, capable de faire passer à cette banale auto le cap des 140 km/h, et d’une grosse berline Commodore au 6 cylindres en ligne 2,5 litres de 115cv, d’ailleurs prémices d’une version GS de 130cv… Bref, Opel se dévergonde !
Alors que tout le monde oublie peu à peu le projet « Experimental GT » la firme continue de travailler, en toute discrétion.
Et c’est contre toute attente que l’Opel GT devient réalité au Salon de Francfort 1968, et cette fois-ci en version de série !
Le dessin a certes été un peu modifié depuis trois ans, en particulier avec un avant plus court, et la présence de phares non plus simplement basculants, mais rotatifs sur un axe longitudinal.
Les phares ne sont pas basculants, ils tournent sur eux-mêmes grâce à une commande manuelle située sur la console centrale.
L’intérieur, traité avec grand soin, et au tableau de bord très complet.
Les mécaniques proposées sous le capot sont directement reprises des Opel de la gamme : Quatre cylindres de 1078 cm3 avec deux carburateurs Solex développant 60cv Din à 5200Trs, ou la même configuration en 1897cm3 pour 90cv Din à 5100Trs.
Si de nos jours de telles puissances sont considérées comme justes bonnes à mouvoir une citadine (et encore…) en 1968 nous sommes tout à fait dans la moyenne du moment, songez que la légendaire Renault 8 Gordini contemporaine ne proposait en version 1300 « que » 88cv Din (par contre son constructeur la vendait pour 103cv, en omettant juste de préciser qu’il s’agissait de la puissance SAE).
Tout ne fut d’ailleurs pas si simple dans l’étude de la GT, ce qui explique le délais de trois années entre la présentation et la commercialisation de l’auto en configuration de série.
Déjà il a fallu beaucoup travailler sur le compartiment avant, ce dernier étant très fin il n’a pas été facile d’y loger la mécanique et la solution fut trouvée après avoir reculé le moteur de plus de 40cm, tout contre la cloison pare-feu. Au demeurant cette solution était excellente pour le centrage des masses et l’auto y gagnera une excellente tenue de route, chose qui n’était pas franchement la première qualité des Opel de l’époque…
L’autre souci est que nous nous trouvons en plein durant une période de prospérité extraordinaire, et les usines de la marque tournent à plein régime, il n’y pas de place pour la construction d’un petit coupé sportif.
Opel va devoir faire appel à la sous-traitance, et c’est en France que la firme va trouver son bonheur, avec Chausson qui accepte de réaliser l’emboutissage des caisses pour les confier ensuite aux établissements Brissonneau et Lotz, qui vont en assurer la peinture et la pose de l’intérieur.
Les autos semi-finies sont ensuite chargées sur des trains qui les emmènent à Bochum pour y recevoir leur mécanique.
On sait de nos jours que l’accord entre les trois partenaires remonte à avril 1966, ce qui prouve que malgré tous les démentis Opel avait bel et bien acté la fabrication de la GT, et ce dès l’accueil positif reçu à Francfort l’année précédente.
Petite voiture pleine de charme et aussi de vitalité (elle ne pèse qu’environ 900kg, un poids qui laisse rêveur de nos jours) même la version 1100 permet à son conducteur de dépasser les 155 km/h et de se faire plaisir pour un prix en fin de compte raisonnable compte-tenu du niveau d’équipement offert et du look de l’auto.
Bien entendu les amateurs de sensations peuvent toujours opter pour la 1900 qui dépasse alors nettement les 185 km/h, mais il faut bien reconnaître que le moteur issu de la placide gamme Rekord n’aime pas trop être manié à la cravache : Il renâcle, grogne et s’essouffle vite passé 4500Trs…
Au chapitre des déceptions, il faudra compter aussi sur l’absence de porte de coffre, les bagages étant condamnés à passer au-dessus des sièges pour rejoindre un petit compartiment déjà occupé par une roue de secours pour le moins mal placée, ceux qui crèveront en rase campagne agoniront d’injures les concepteurs d’une telle ânerie.
Mais à côté de ça, que de plaisirs…
La ligne est extraordinaire, et vaut à cette voiture le surnom de « Baby-Corvette », ce qui n’a rien d’étonnant puisque les deux autos font partie du même groupe et que les designers de la GT venaient des USA.
Il est vrai que les formes de la GT étaient très voisines de celle de la Chevrolet Corvette C3, mais à l’échelle réduite et sans V8 !
Le comportement routier est sans gros défauts, l’auto est même plutôt neutre si l’on fait abstraction du pont arrière rigide plus vraiment au goût du jour (mais avec ressorts hélicoïdaux et barre Panhard quand même !), tout comme la suspension avant à ressort à lames transversal d’ailleurs…
Les freins, à disques à l’avant et assistés, font bien leur boulot, et n’ont de toute façon « pas trop lourd à arrêter » en cas d’urgence.
La boite de vitesses à quatre rapports est sans histoires et inusable, tout comme la boite automatique proposée en option sur la 1900.
Le prix est franchement compétitif et l’équipement vraiment généreux : Sièges avec appuie-tête intégrés (ils soutiennent malheureusement très mal le corps dans les virages), projecteurs additionnels, éclairage du compartiment moteur, mano de pression d’huile, ampèremètre…
Mais alors, me répondrez-vous, comment se fait-il que la commercialisation s’est arrêtée en août 1973, après la production de 103 463 unités, dont 3 573 seulement en version 1100, peu demandée et d’ailleurs supprimée dès 1970 ?
Pour deux raisons :
D’abord le rachat de Brissonneau et Lotz en 1972 par Renault, il est évident que la General Motors n’allait pas verser de l’argent à un concurrent, mais il y a autre chose…
En fait on le sait peu mais la marque au Blitz est alors distribuée aux USA par le réseau des concessions Buick (groupe GM…) depuis 1958, et la GT va en être le fer de lance dès sa commercialisation en 1969.
Les choses vont d’ailleurs très bien marcher pour elle, et près des deux-tiers de la production (plus de 70 000 voitures donc) ira traverser l’Atlantique.
Une version US, uniquement reconnaissable à ses feux de position latéraux. L’Opel GT s’y vendra très bien.
Hélas les chiffres désastreux des victimes d’accidents de la route aux States vont finir par faire prendre des décisions drastiques aux autorités fédérales et, à compter du millésime 1974, toute voiture vendue aux USA devra être dotée de gros pare-chocs à absorption d’énergie, entre autres… On passera aussi rapidement sur les nouvelles normes concernant les émissions polluantes décidées en même temps, et qui donneront aux USA près de dix ans d’avance sur les autres nations occidentales face à ce problème.
Pour Opel il est clair qu’il faudrait revoir la petite GT pratiquement de A à Z, pour une auto située dans un segment dit de niche et déjà âgée de six ans le jeu n’en vaut clairement pas la chandelle, et la décision d’en cesser la production est rapidement prise.
Une version « Aéro GT » découvrable fut étudiée par Fissore et présentée au Salon de Francfort 1969, hélas sans qu’Opel ne donne une suite au projet.
Pour remplacer une peu convaincante 1100 qui ne sera vendue que durant deux ans on présentera en 1971 la version GT/J : Une 1900 à l’équipement simplifié (plus de manomètre d’huile, de moquette, d’enjoliveurs…) et aux chromes peints en noir mat. Jamais vendue en France cette version économique s’adressait surtout aux plus jeunes, le J pour « Junior »…
Les années qui vont suivre seront une sorte de descente aux enfers pour cette petite sportive. Vite démodée et issue d’un constructeur plus réputé pour ses berlines indestructibles que pour ses GT décoiffantes, elle va goûter aux limbes de l’occasion et de « la quatrième main » tendance Mimile du samedi soir.
Le sensibilité de l’auto à la corrosion, avec de surcroît une carrosserie très difficile à réparer de par ses formes, fera que l’Opel GT va vite déserter les routes et devenir un vague souvenir dans l’esprit des automobilistes des années 80 et 90.
Ce n’est qu’au début de la décennie 2000 que ce sympathique Coupé va revenir sur le devant de la scène, porté par une nouvelle génération qui n’a pas connue l’auto « de son vivant », mais qui saura à la fois reconnaître en elle une certaine réussite technique, mais aussi l’exemple d’une collaboration Franco-Américano-Allemande ma foi fort réussie !
Jensen.