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L’épopée Matra en Sport Auto, de la F1 aux 24 Heures du Mans


Matra, une rétrospective en forme d’hommage

Suite au décès de Monsieur Georges Martin il y a quelques semaines, Blog-Moteur avait à cœur de rendre hommage à cette Ode à la Mécanique Française, en consacrant un dossier spécial à l’épopée de la marque Matra en Sport Automobile. Retour sur l’histoire méconnue de l’une des plus belles pages du Sport Auto Français, qui vit le drapeau tricolore se hisser au firmament des épreuves reines : Formule 1, et 24 Heures du Mans, pour ne citer qu’elles.

Georges Martin au chevet du MS9 qui équipait la monoplace de Jean-Pierre Beltoise.

Mécanique Aviation TRAction : Le rêve d’un seul homme

Fondée en 1941 par Marcel Chassigny, MATRA est une petite entreprise aux grandes ambitions. Son but premier, être à la pointe de la technologie. L’entreprise saura alors se diversifier dans ses vingt premières années : militaire, aéronautique, spatiale. Foisonnant d’inventivité, Matra n’a de cesse d’innover et de rechercher de nouvelles voies d’expansion.

Arrivé en 1963, la marque à la flèche recrute un ingénieur de chez Dassault à qui Marcel Chassigny veut confier la direction. Cet homme n’est autre que Jean-Luc Lagardère. Sa soif de réussite va le pousser à insuffler une nouvelle dynamique au groupe. Par le biais de la Générale des Applications Plastiques basée à Romorantin, Matra est à la pointe en terme de développement de matériaux à base de fibre. L’une de ses applications est la fabrication des carrosseries de Djet, automobile à petite série de marque René Bonnet. Cette entité sera définitivement intégrée sous la marque Matra à partir de 1964. C’est alors le début de l’aventure Matra en automobile, en poursuivant la fabrication du premier modèle à moteur central.

« Je veux développer le groupe avec de la matière grise, avoir un réservoir de matière grise important. Et pour cela, je veux que Matra soit un nom qui frappe. Un nom qui accepte la compétition. Et qui soit aussi lié justement, avec l’esprit de créativité dans la haute technologie. Et la compétition automobile c’est tout cela, c’est exactement cela ». Voilà la ligne de tir du directeur sur les dix années qui allaient suivre ce renouveau, quitte à avoir des ambitions démesurées.

Matra Sports : L’accomplissement des artisans du démon Mécanique

Convaincu dur comme fer que l’avenir de Matra doit s’écrire à travers la compétition automobile, Jean-Luc Lagardère y croit d’autant plus que le paysage français en championnats internationaux est atrophié, avec comme seuls représentants la marque dieppoise Alpine et l’ingénieur touche-à-tout René Bonnet.

Après des débuts minimalistes dans les locaux de la concession parisienne, Lagardère a su rassembler des concepteurs ingénieux alliés à des pilotes qui ont finalement réussi à imposer le nom de Matra comme une référence dans les Championnats Formule 2 et Formule 3. La MS1 et la MS7 disposant de leurs innovants châssis monocoques à réservoirs structuraux, suppléés par la qualité de fabrication aviation, seront la base des monoplaces qui feront la renommée de la marque dans les années qui suivront.

Suite à la mythique victoire de Beltoise à Reims en F3, ainsi qu’aux essais concluant de la Formule 2 Matra par Sir Jackie Stewart sous les ordres de Ken Tyrell, le destin est tout tracé. Et ce dans deux directions royales mais hétérogènes : la Formule 1 et les 24 Heures du Mans. Avant tout cela, Matra eu à cœur de prendre de l’expérience dans les catégories préliminaires. Le succès fut au rendez-vous, les victoires pleuvent en Formule 2 en 1967, ponctuées en fin de saison par le titre.

« La Formule 3 pour apprendre, la Formule 2 pour s’aguerrir et la Formule 1 pour s’imposer »

Conscient de l’importance financière d’un engagement en Formule 1, Jean-Luc Lagardère sait s’allier de plusieurs soutiens de poids pour débuter ce rêve. Parmi ceux-ci, on pourrait citer Jean Prada avec la création de la marque pétrolière ELF, ainsi que le Gouvernement Français alors aux mains du Général Charles de Gaulle qui souhaite imposer l’image victorieuse de la France à l’étranger.

C’est fort de cet élan patriotique que Jean-Luc Lagardère lance la fabrication de son idéal mécanique : la monoplace type Formule 1 française. Et quand on entend française, on doit comprendre châssis français, moteur français, pilote français et carburant français. L’équipe de conception châssis est déjà constituée et a largement prouvé ses talents. Le pilote français est tout trouvé lui aussi, c’est le talentueux Jean-Pierre Beltoise qui s’y colle, alors que Henri Pescarolo se tourne vers le projet Endurance. Pour la partie carburant, l’engagement de Elf pour un contrat de 4 années scelle la question. Ne reste plus qu’une chose : le moteur. Habitué aux moteurs Cosworth 4 cylindres, Matra va passer dans la cour des grands, en lançant la conception d’un moteur de compétition 100% français.

Moteur Matra Sport 12 cylindres en V : une utopie qui prend vie.

C’est Philippe Guédon, nouvelle recrue de la branche automobile de Matra, qui va participer à la tâche de rassembler les meilleurs éléments français pour la conception du futur moteur F1. Premier élément, Georges Martin – un ancien collègue – est engagé pour diriger la Division Moteur Etudes Avancées et Compétition. Jusque-là, cet ingénieur était responsable des Etudes Moteur chez Simca. C’est à lui et son équipe que l’on doit la conception du moteur Poissy qui équipera la Simca 1100 et bon nombre d’autres modèles de la marque franco-italienne. Georges Martin est alors un homme aguerri aux contraintes de la production à grande échelle qui lui ont toujours appris que la fiabilité passe devant le confort. Voilà une arme qui lui sera bien utile dans l’entreprise qu’il va mener.

L’anecdote qui porte à sourire est que Martin est arrivé chez Matra Sports sans ligne directive précise. C’est au bout de quelques semaines que Jean-Luc Lagardère lui annonce ce qu’il avait derrière la tête : que Matra soit la première marque française à développer un moteur de Formule 1. Notre ingénieur est un peu sonné par cette révélation. Ce nouveau défi lui trotte dans la tête, pensant que le choix du type de moteur lui incombait. Combien de cylindres, quel type, quelle forme de moteur ? Questions auxquelles le patron coupa court. Un seul objectif : fabriquer un 12 cylindres en V dont le son perçant soit reconnaissable à l’aveugle. Sous son sourire d’homme d’affaire, Lagardère voulait challenger les V12 de la marque au cheval cabré qui collectionnait les victoires en sport prototype ainsi qu’en Formule 1.

1967, l’année où tout le travail commence. De nouvelles données sont à prendre en compte, et pas des moindres. Le règlement de la FIA changeant pour la Formule 1, cette dernière passa la cylindrée des moteurs de 1500 à 3000 cc. Comme lors des débuts de la marque, Georges Martin initie l’étude du V12 de manière plutôt artisanale. Epaulé de son ami Georges Chariatte, Responsable du Bureau d’Etudes Moteur de chez Simca, les deux hommes se mettent à dessiner les bases de ce bloc, dans une cabane, au fond du jardin, le soir après le travail. Quoi de plus palpitant et amusant pourrait-on se dire a posteriori. En réalité, ces passionnés de belles mécaniques étaient en route pour l’histoire !

A l’issue de 7 mois d’études intensives, l’équipe de Georges Martin livre le premier moteur appelé Matra Sports MS9. 12 cylindres en V, 48 soupapes, 4 arbres à cames en tête, bloc en aluminium non porteur, 2999 cc de cylindrée, 388 chevaux à 10.500 tr/min. C’est le 19 décembre 1967 que ce rêve prend vie. Ce fût alors un long travail pour toute l’équipe Matra Sports pour améliorer la fiabilité de ce moteur qui reste un prototype innovant.

Mélodieux mais jamais victorieux

La saison 1968 voit donc deux nouvelles écuries de Formule 1 faire leur apparition. La première, dirigée par Ken Tyrrell, engageait un châssis Matra MS10 équipé du moteur V8 Cosworth dans lequel Sir Jackie Stewart avait entière confiance. Il sera secondé en cours de saison dans cette équipe Matra-Elf Internationale par le français Johnny Servoz-Gavin suite à un accident. La seconde écurie proposait un châssis de MS11 avec le moteur Matra V12. Derrière les volants, Jean-Pierre Beltoise et Henri Pescarolo paradent sous la bannière tricolore Matra Sports.

Clin d’œil à l’histoire, c’est au Grand Prix de Monaco que la monoplace pur-sang française fera sa première apparition, précédée par les premiers résultats encourageant du pilote anglais en début de saison. Mais la fin de la course est à oublier. Alors qu’il commençait son premier Grand Prix en tête, le jeune et fougueux Servoz-Gavin abandonne sur une touchette. Tandis qu’une casse mécanique stoppera prématurément la course de Beltoise. C’est à Zandvoort, sous une pluie battante, que Stewart et Beltoise signeront leur premier doublé. Premier succès d’un châssis Matra et premier podium pour le V12 français. L’accomplissement de tant d’efforts pour la marque au coq ! Enchaînant victoire et podiums sur les Grand Prix suivants, Sir Jackie Stewart cèdera la couronne mondiale à Graham Hill dans la neuvième et ultime manche de la saison, suite à des soucis mécaniques.

Malgré l’échec en 1968 suite à la blessure et aux soucis mécaniques de Stewart, Matra aborde la saison 1969 plus confiante que jamais. Surtout que la marque joue désormais sur deux tableaux. Lagardère annonce officiellement que son nouvel objectif est les 24 Heures du Mans, toujours avec un châssis Matra et un moteur V12. Au départ donc de cette nouvelle année, Matra et Tyrrell n’engagent que Stewart et Beltoise. Commençant avec la MS10 de l’année précédente, Matra dévoile pour la seconde manche sa nouvelle monoplace : la Matra Sports MS80.

L’anglais va alors survoler le reste de la saison. Cette suprématie s’explique par la fabrication d’une monoplace particulière bien née. La MS80 conserve les avantages de sa devancière comme les réservoirs structuraux ou le groupe motopropulseur auto-porté, en agrémentant le tout de nouvelles idées efficaces comme la carrosserie renflée au centre. Cette particularité permet de concentrer la charge du carburant le plus proche possible du centre gravité de la monoplace. En découle le meilleur équilibre possible et la concentration de la masse vers le train arrière favorisant la motricité.

A l’issue des 14 manches qui composent le championnat, le sacre est attribué à l’anglais et sa voiture bleue qui s’adjugent la moitié des victoires de la saison. 1969 sonne donc l’apogée de la marque Matra en compétition automobile. Championne du monde des constructeurs, champions du monde des pilotes en Formule 1, elle décroche également le titre en Formule 2 avec Servoz-Gavin. La marque se tourne alors vers la saison suivante pour viser de nouveaux objectifs ambitieux. En accord avec la marque Simca pour la commercialisation de la Matra Simca Bagheera, Matra veut ancrer son nom dans le dur en poussant sa nouvelle monoplace sur la première marche du podium, à l’aide de son propre moteur. Exit le couple victorieux V8 et Stewart, place exclusivement au V12 et la nouvelle MS120A. Le MS9 est remplacé par le MS12, seconde évolution du V12 ayant désormais son admission d’air au centre du bloc. Améliorant la fiabilité de son prédécesseur et gagnant une centaine de chevaux à un régime moteur plus haut, ce nouveau moteur est prometteur.

Toujours pas convaincu par le V12, Stewart décide de quitter de lui-même Matra. Rapidement en difficulté, la MS120A parées de ses flancs en biseaux si particuliers avoue de sérieuses faiblesses sur la rigidité de son châssis. Malgré tous les efforts de Beltoise et Pescarolo, la saison 1970 est une saison à oublier. La déception est grande chez Matra, qui passe du tout au rien en l’espace d’une seule année. De la confidence du pilote au casque vert : « Comparé à un Cosworth, le V12 Matra avait les défauts d’un V12, c’est-à-dire qu’il manquait de couple et qu’il n’était pas plus puissant, donc il était beaucoup moins compétitif qu’un Cosworth ».

Tentant de trouver rapidement des solutions, mais à court de bonnes idées, Matra organise comme elle peut sa saison 1971. Pescarolo est remplacé par Chris Amon, pilote ayant une plus grande expérience de la Formule 1. Pour tenter de regagner de la compétitivité, la MS120 est remodelée à l’image de la meilleure conception de la marque. La MS120B arborent de nouveaux flancs bombés à l’instar de ceux de la MS80. Elle subit également une sérieuse cure d’amaigrissement. Malheureusement, le résultat est infructueux. La seule étincelle de cette monoplace fut une victoire au Brésil, mais dans une manche qui ne compte pas pour le championnat de Formule 1. La saison 1972 part sous les mêmes hospices, qui s’annoncent sombres. A court de budget, les modifications sont focalisées sur les évolutions du moteur V12 qui lui, brigue sa renommée dans une autre division : l’Endurance. Avec une seule monoplace en lisse, Chris Amon débute la saison sur un châssis MS120C, puis se voit attribuer une évolution en cours de championnat avec la MS120D. Cette dernière amélioration réussit à faire oublier les défauts des premières versions. Allégée, rigidifiée, Amon brille au Grand Prix de France en partant sur la première ligne et en menant la course pendant une vingtaine de tours. Le destin en voulu autrement, une crevaison le contraignit à repartir en fond de peloton. Le Néo-zélandais se débattra jusqu’à obtenir une méritoire troisième place teintée d’une certaine amertume.

Là fut le dernier souffle de vie d’une Matra en Formule 1. A genoux à cause d’une fin de saison complètement chaotique, Matra décide de se retirer de la discipline reine après cinq engagements qui ont fait passer la France du sourire aux larmes.

L’Endurance comme fierté

Désormais complètement concentrée sur les 24 Heures du Mans, terminant en parallèle sa dernière saison de Formule 1, Matra concourt en 1972 à cette course mythique après six années de recherche et d’essais dans le domaine. Plusieurs prototypes y sont passés, avec des motorisations différentes : MS620 à V8 BRM ou Ford en 1966, MS630 à V8 BRM en 1967, MS630 à V12 MS9 en 1968, l’essai de la MS640 quasi-meurtrière pour Pescarolo en 1969, MS650 à V12 en 1969, MS660 à V12 MS12 en 1970 et 1971. L’année 1972 est donc abordée par Matra avec une nouvelle née, la MS670 toujours équipée du V12 dérivé du MS12 de Formule 1. En raison de l’absence de Ferrari pour cette année, les prototypes Bleus France sont les favoris de l’épreuve. Au terme des 24 heures, Matra hisse aux deux premières places ses MS670.

L’année suivante, le constructeur italien revient dans la compétition, et promet au monde automobile un fort combat pour retrouver sa place de champion. La bataille s’annonce rude. D’autant qu’il s’agit d’un match au sommet : les deux constructeurs motoristes utilisent un moteur à 12 cylindres. Jean-Luc Lagardère y voit enfin l’aboutissement du projet V12 : faire oublier le V12 Ferrari, par le son mais aussi par l’histoire. La Ferrari partie en première place, mène cette édition pendant plus de 16 heures. Attaquée dans la nuit, la Ferrari de tête laisse place à la MS670B de Pescarolo et Larousse. La numéro 11 tient jusqu’au bout des 24 heures mancelles et décroche devant la Ferrari sa deuxième victoire sur cette épreuve. Mention spéciale aux mécaniciens du clan Matra, qui fêtent à leur manière la domination du constructeur français sur son homologue italien : un dessin improvisé sur un panneau de chronométrage qui relève peu du politiquement correct.

Champions d’endurance à l’issue de la saison 1973, l’année 1974 ponctuera cette série de victoires par un second titre et une troisième victoire sans conteste au Mans avec la MS670C. Jean-Luc Lagardère profite de cette apogée pour annoncer la fin de la Division Compétition. C’est donc après 10 années en sport automobile que la page Matra se tourne, après avoir gagné tout ce qu’elle a entrepris : Formule 3, Formule 2, Formule 1, 24 Heures du Mans, Championnat du Monde d’Endurance, Victoire au Tour de France et par la suite Championnat de France de Rally-Cross (par l’intermédiaire de la firme Politecnic). 124 victoires à son palmarès, Matra écrit en une décennie une des plus belles histoires du sport automobile français, toutes compétitions confondues.

Matra V12 : une hibernation forcée

Cette annonce du dirigeant sonne comme un coup de tonnerre dans les rangs de Matra Sports. Georges Martin employa toute sa capacité de persuasion pour que la Division Moteur Etudes Avancées de Matra Sports ne s’éteigne pas définitivement. « Quand Lagardère m’a dit ‘’On arrête tout’’, je lui ai demandé si c’était définitivement, ce à quoi il a répondu ‘’Oui ‘’ » confiait Martin. « Quand vous dites définitivement, c’est définitivement à jamais ou définitivement pour un certain temps ? », question qui déclencha un élan d’incompréhension et de colère chez Lagardère. Derrière cela, le motoriste cherchait à obtenir de la bouche de son directeur un délai minimal du retrait de Matra en compétition. Lagardère lui laisse entendre qu’il souhaite pour Matra trois années de répit.

A cet aveu, Georges Martin demande à Lagardère qu’une cellule de veille moteur soit constituée. Il s’explique : « Si on redémarre dans 3 ans, il n’y aura aucun problème de redémarrer un châssis. On trouvera les mêmes gens qu’on aura recassé à droite à gauche. Pas de problème. Par contre, dans 3 ans, si on veut redémarrer un moteur, il n’y aura plus personne ». Les mots sont durs, mais réalistes. Martin tente de donner du relief à son argumentaire. En tant que Responsable de la Division Moteur Etudes Avancées et Compétition, cet homme de terrain est conscient de l’investissement personnel et professionnel dont ont fait preuve les membres de son équipe. Equipe ayant débuté avec des moyens très modestes si on se souvient des débuts de la conception du MS9. Convaincu que ses collaborateurs n’accepteront jamais de recommencer une si folle aventure, Martin assure la nécessité de constituer une telle structure.

De manière discrète voire anonyme, Matra Sports continue à motoriser une monoplace de Formule 1 en 1975. Elle fournit le V12 MS12/73 à l’écurie américaine UOP Shadows faisant piloter le français Jean-Pierre Jarier. A noter que c’est ce moteur qui équipait la MS670C victorieuse l’année précédente en Endurance. Collaboration finalement très décevante sur le plan des résultat, Shadow Racing Team coupera court aux échanges avec Matra pour continuer à exploiter le V8 Ford Cosworth.

La fin de cette saison 1975 s’annonce forte en émotion pour le sport automobile français, puisqu’une nouvelle écurie fraîchement créée va faire son apparition sur la scène mondiale : Ligier crée l’évènement avec la présentation de sa Ligier Gitanes JS5. Cette monoplace bénéficie du retrait de Matra en compétition sous plusieurs formes. Certains anciens sont déplacés chez Ligier pour la conception châssis, la gestion des essais ou le développement mécanique. La nouvelle Formule 1 française va également disposer du moteur V12 Matra type MS12/73. La petite auto bleue et blanche au capot moteur si particulier réussira à obtenir 3 podiums sur les seize manches de la saison.

L’année suivante va être décisive pour le motoriste. Ligier engage sa nouvelle JS7 alliée au nouveau V12 MS76. Emmenée par Jacques Laffite, la monoplace 100% française offre enfin sa première victoire au V12 Matra au Grand Prix de Suède, le 19 Juin 1977, mettant fin à une certaine malédiction de cette utopie Bleue France. Pour les saisons 1979 et 1980, Ligier se rabat sur le V8 Cosworth pour assurer la motorisation de sa JS11. Mais en 1981, la JS17 arborant les nouvelles couleurs de Talbot et de Gitanes, retrouve en son antre l’ultime version du V12 Matra de type MS81. Cette fois-ci, la collaboration porte ses fruits, bien plus qu’espéré. A tel point qu’au départ de la dernière course de l’année 1981, Jacques Laffite prend place sur la grille en 4ème place du championnat des pilotes. S’il gagne cette course, il a de fortes chances d’être le premier pilote français à être champion du monde de Formule 1 avec une voiture française. Première embûche, Laffite rate sa qualification et ne décroche qu’une médiocre 12ème place alors que Tambay accroche la 4ème ligne. Après une course assez folle en tête de peloton mais difficile pour le français, il réussit à arracher le petit point de la 6ème place et perd donc toute chance de décrocher la couronne mondiale.

Matra V6 Turbo MS82 : Un espoir avorté

Alors que Talbot-Ligier se débat pour la victoire en Formule 1, l’équipe de Georges Martin planche sur un nouveau concept. Sentant l’ère de la Formule 1 tourner avec la Théière Jaune de chez Renault propulsée par le moteur turbo EF1 de 1977 à 1979, Matra Sports étudie un bloc qui pourrait remplacer pour l’année 1982 le V12 vieillissant dans la JS17. Il en ressort un V6 turbo à culasses borgnes qui développe plus de 800 chevaux.

Ce moteur ne verra finalement jamais le jour. En effet, emporté dans la tourmente depuis son intégration dans le groupe Peugeot Talbot Sport, Matra n’est plus en honneur de sainteté et n’inspire plus la confiance dans ce nouveau groupe. Aboutissement du savoir-faire Matra, ce moteur sera donc boudé par Talbot-Ligier qui préfère repasser au V8 Ford Cosworth atmosphérique. La direction de PTS ne souhaitera pas développer ce bloc malgré un fort intérêt de la part de l’équipe Williams. Ironie du sort, l’écurie Talbot-Ligier deviendra finalement cliente en 1984 de Renault Sport afin de propulser sa monoplace pour trois années avec le performant moteur turbo de la firme au losange.

C’est ainsi, de manière simple et quelque peu triste que se termine l’histoire de Matra en compétition automobile. Histoire dirigée d’une main de maître par le duo de génie Lagardère et Martin. Après 15 années d’une aventure humaine, les hommes en blouse bleue ont fermé ce livre, rempli d’anecdotes magnifiques. Chacun a poursuivi son chemin. Certains ont persévéré dans le monde de l’automobile avec brio à l’instar de Gérard Ducarouge. Ce dernier a signé une très belle réussite en reconstruisant l’écurie Lotus avec une monoplace des plus performantes pilotée par un tout jeune pilote brésilien qui laissera une trace indélébile en Formule 1…

Pour conclure de manière personnelle et partiale, comme je me complets à le dire « L’important n’est pas l’histoire d’un destin gâché, mais la mémoire d’une réussite anonyme ».

Ecrit et illustré par Quentin Boullier. Sa galerie Flickr. Sa page Facebook.