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Retour sur la Renault Avantime : née trop tôt ?


Renault Avantime : née trop tôt ?

Retour en 1983 : la société Matra (contraction de Mécanique Aviation Traction), basée à Romorantin-Lanthenay (41), reçoit une fin de non-recevoir de la part de Peugeot pour son projet P18, né de l’imagination de Philippe Guédon. Après ce cruel désaveu, décision est prise de présenter la voiture à Renault, qui comprend très vite son potentiel. Il deviendra l’Espace, avec le succès qu’on lui connaît, puisqu’il inventera presque à lui seul un nouveau segment : celui des monospaces.

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Renault-Avantime (26)Le concept P18, très proche de la version de série

Dès 1996 Renault exprime sa volonté de reprendre à son compte la production de l’Espace, les limites industrielles de Matra ayant été atteintes. La collaboration entre Matra et Renault pour l’Espace dure ainsi jusqu’en 2002, date de fin de production de la 3ème génération, après plus de 870.000 exemplaires assemblés. Pour la 4ème génération d’Espace (toujours commercialisée), la production est rapatriée chez Renault, à Sandouville.

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Les 3 générations d’Espace produites par Matra réunies (dont le tout dernier Espace III, une série limitée The Race)

Renault et Matra pensent alors à un véhicule destiné à compenser la perte pour Matra liée à l’arrêt de la production de l’Espace. Contrairement au concept P18 qui était une idée 100% Matra, ce véhicule sera étudié et financé par Renault et la firme de Romorantin.

C’est ainsi qu’en mars 1999 est présenté au salon de Genève un concept car au nom évocateur : Avantime. Si la conception est mixte, le style vient de chez Renault, puisque le dessin est celui de Patrick Le Quément. L’Avantime était censée former avec la Vel Satis (sortie dans le même laps de temps) la réponse de Renault aux berlines premium allemandes. Afin de limiter les coûts, l’Avantime reposera sur une base d’Espace III, et devra reprendre les motorisations Renault de l’époque.

L’idée marketing de l’Avantime est de prime abord judicieuse : il s’agit de capter la clientèle aisée des monospaces, sensible à une position de conduite surélevée, à de grandes surfaces vitrées et à un bel espace intérieur, mais qui a vu ses enfants quitter le foyer, et qui n’a donc plus besoin de 5 portes ; il s’agit en un mot de proposer un CoupéSpace. La genèse de l’Avantime est longue, et sa commercialisation est plusieurs fois reportée. En effet, si dès octobre 1999 une version de série est prête pour la salon de Francfort, il faudra attendre juin 2001 pour qu’elle soit finalement commercialisée.

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Il est rare qu’un prototype soit aussi proche de la série!

Les portes à double cinématique posent en effet problème. Si elles permettent de faciliter l’accès aux places arrière tout en limitant le débattement (inconvénient classique des coupés), leur industrialisation s’avère être un vrai casse-tête.

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Les portes à double cinématique : géniales dans l’idée, très difficile à concrétiser!

L’énorme toit panoramique induit des tensions du point de vue structurel (éclatement du toit sur routes dégradées sur certains prototypes), surtout que les vitres latérales n’ont pas de pied milieu (ce qui permet une sensation de liberté inédite, sensation confortée par la présence d’un bouton « grand air », permettant d’une seule pression d’ouvrir simultanément les vitres latérales et le toit panoramique). Le mal est déjà fait : la clientèle séduite par le côté novateur du modèle et par son audace s’en est peut-être détournée, à force d’attendre.

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Une vraie invitation au voyage

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L’absence de pied milieu

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Il est rare qu’un coupé offre autant d’espace! 

La structure de l’Avantime mêle trois matériaux : l’acier galvanisé (spécialité de Matra, précurseur en la matière) pour le châssis, le composite pour les panneaux de carrosserie (une autre spécialité maison), et l’aluminium pour le toit. Le mariage de ces trois éléments a bien évidemment posé des problèmes.

Son tableau de bord est jugé trop proche de celui de l’Espace III (volant identique notamment), et les premiers modèles souffrent d’une finition approximative.

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Le tableau de bord, trop typé monospace, est un point faible pour de nombreux acheteurs, à la recherche d’une présentation un peu plus luxueuse

Le véhicule étant destiné à une clientèle très exigeante, les ventes sont anecdotiques. Pire, l’Avantime n’est disponible à son lancement qu’avec le 3,0 L V6 Essence de 210 ch, dans un marché déjà très dieselisé, et seules deux finitions haut de gamme sont disponibles. Le ticket d’entrée est donc élevé (plus de 40.000 € en V6 Privilège). Il faudra attendre le printemps 2002 pour que l’Avantime accueille le 2,0 L Turbo-Essence de 165 ch, et surtout le très attendu 2,2 L dCi de 150 ch, mais le mal est déjà fait.

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Jugé trop cher, trop mal fini, l’Avantime ne fait que de la figuration. L’apparition d’une finition de base Expression dépourvue de toit en verre, puis d’une finition plus intéressante Hélios en janvier 2003 permettra quand même de relancer un peu l’intérêt pour le modèle, mais l’issue est dore et déjà inévitable. Le 26 février 2003 Matra annonce la fermeture de son usine de Romorantin, et la production cesse au mois d’avril, après que 8.557 exemplaires soient tombés des chaînes.

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Un exemplaire tout juste fini. Les ouvriers ne le savent peut-être pas encore, mais la fin est proche… 

Renault annonce dans la foulée qu’il ne reprendra pas à son compte la production de l’Avantime. Triste coïncidence, Jean-Luc Lagardère, père de Matra, décède brutalement le 14 mars. La M72, petit véhicule fun, réinterprétation moderne de la voiture des copains, et destinée à être conduite dès l’âge de 16 ans, restera à l’état de projet.

Renault-Avantime (6)La M72, petite voiture sympa au demeurant, mais sans doute pas à même de sauver Matra… 

Pourquoi en est-on arrivé là ?

L’insuccès de l’Avantime peut s’expliquer par plusieurs facteurs. Plus qu’une commercialisation tardive, je mettrai cet échec sur le fait que l’Avantime était sans doute trop en avance sur son temps, trop radical, trop marginal, destiné à une niche qui n’existait peut-être pas à l’époque. La mode était alors aux gros SUV luxueux (Mercedes ML, BMW X5…), et il était sans doute difficile de convaincre les clients d’acheter un véhicule si typé, a fortiori venant d’un constructeur français. Certains évoquent le fait que Renault a « lâché » l’Avantime pour se concentrer sur la vente de ses Vel Satis et Espace IV, deux propositions placées sur le même marché, et surtout deux modèles « 100% » Renault. Il est en tout cas évident que cette profusion de modèles au sommet de la gamme du constructeur français n’a pas du jouer en sa faveur.

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Quoi qu’il en soit, qu’on aime ou pas l’Avantime, c’est une voiture qui ne laisse pas indifférent, et elle provoque encore aujourd’hui des réactions assez marquées. Bon nombre de personnes pensent avoir affaire à un prototype en phase d’essai, et son design extérieur n’a pas vraiment vieilli (pour l’intérieur les choses sont bien différentes en revanche). Au contraire, on serait même tenté de voir en l’Avantime une source d’inspiration pour le nouvel Espace…

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L’exemplaire présenté au musée Matra, dans une très belle livrée Bleu Illiade

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Un je-ne-sais-quoi d’Avantime…

C’est pour moi un fantastique exemple de la créativité de Renault (et de Matra, marque passée experte dans l’innovation et la création de nouvelles tendances : les monospaces avec l’Espace, le ludospace/crossover avec le Rancho…), qui n’a pas été récompensé à sa juste valeur. La finition n’était pas à la hauteur, comme souvent chez les modèles haut de gamme français, toutefois ce détail ne semble pas avoir nuit à la carrière commerciale du Mercedes ML premier du nom, qui n’était pas non plus une référence dans ce domaine là.

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L’avantage de cet insuccès, c’est que l’Avantime est devenu instantanément un collector, de par sa rareté (il a en effet été produit à deux fois moins d’exemplaires que la Ferrari 360 Modena), et son originalité. Il fédère d’ores et déjà une véritable communauté de passionnés, et sera très certainement collectionné dans quelques années, si ce n’est pas déjà le cas…

Et si l’heure de l’Avantime était enfin venue?